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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

même héros, n’a pas fait sensation à Paris ; cependant il s’en faut bien que M. Desormeaux soit un écrivain sans mérite. M. Turpin a continué cette année ses Hommes illustres, par l’histoire de deux maréchaux de France du nom de Choiseul. Il a dédié cette histoire à M. le duc de Choiseul-Praslin, à qui il conseille de se déguiser et d’aller dans les cafés et autres lieux publics, à l’exemple d’un calife de Bagdad, afin d’entendre tout le bien qu’on pense et qu’on dit de lui. Un des maréchaux de Choiseul, dont M. Turpin a écrit la vie, s’appelait Claude. Le Plutarque Turpin a désespéré d’en faire un héros sous ce nom ; il a pris le parti de le débaptiser et de changer Claude de Choiseul en César de Choiseul. Il n’en faut pas davantage pour être sûr que M. Turpin était digne d’être filleul de Claude, et qu’il ne ressemblera jamais à César par ses commentaires historiques.

— On craignait que la cérémonie qui s’est passée le jour de Pâques au château de Ferney, et qui a fait un si mauvais effet à Paris, ne fût suivie d’un long sommeil ; mais nous sommes rassurés. Brutus ne dort point, il vivra et mourra les armes à la main ; il paraît même que la passion du travail s’est accrue chez lui à un tel point que tout ce qui l’en distrait lui est à charge. Le premier fruit que nous recueillons de cette heureuse passion, depuis la fameuse cérémonie, est un petit écrit intitulé Conseils raisonnables à M. l’abbé Bergier, principal du collège de Besançon, sur la défense du christianisme, par une société de bacheliers en théologie. Cet écrit est en effet signé par quatre soi-disant bacheliers ; mais on y reconnaît à chaque ligne la touche du grand, de l’immortel docteur de Ferney. C’est un morceau plein de solidité, de sagesse, d’éloquence, et d’une éloquence pathétique et touchante. Je n’en ai entendu faire qu’une lecture très-rapide, mais il m’a paru qu’il y avait quelques traits vraiment sublimes. L’auteur y plaide avec une âme attendrie, mais pleine de force, la cause de l’humanité contre la dureté théologique, qui a souillé l’histoire de la religion chrétienne de tant de monuments de barbarie et de cruauté. Il est impossible que cette réclamation continuelle de l’avocat du genre humain ne l’emporte, du moins auprès de la génération suivante, sur les cris d’un clergé superstitieux et fanatique ; tous les esprits justes, tous