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JUIN 1768.

— Tout le monde a lu dans les gazettes la nouvelle expérience de physique qu’on a faite depuis peu, et suivant laquelle les colimaçons à qui l’on coupe la tête en reprennent une nouvelle au bout d’un mois, et ne laissent pas de vivre tandis que cette nouvelle tête repousse. Vous savez que dans la manufacture de Ferney rien ne tombe à terre, et qu’elle est toujours au courant de tout ce qui occupe le public. En conséquence il nous est arrivé, cet ordinaire, du grand magasin un écrit intitulé les Colimaçons du révérend père l’Escarbotier, par la grâce de Dieu capucin indigne, prédicateur ordinaire et cuisinier du grand couvent de la ville de Clermont en Auvergne ; au révérend père Élie, carme chaussé, docteur en théologie. Cet écrit renferme trois lettres du R. P. l’Escarbotier, et deux réponses du R. P. Élie, carme, avec la dissertation du physicien de Saint-Flour. On ne peut rien lire de plus gai et de plus fou que cette correspondance sur l’aventure des colimaçons ; cela est plein de sel, de verve, et d’une teinte aussi comique que philosophique. Le physicien de Saint-Flour ne vaut pas cependant le P. l’Escarbotier, capucin, ni le P. Élie, carme. Il se moque des systèmes de M. de Buffon avec toute la considération due à la personne et aux talents de ce philosophe, et des expériences de M. Needham, avec tout le mépris qu’on lui connaît pour cet Anglais papiste, qu’il soutient toujours Irlandais et jésuite. Il ne veut pas absolument qu’un bouillon de mouton, hermétiquement enfermé dans une bouteille et préservé de tout insecte, produise de petits animaux par la seule putréfaction ; il soutient qu’il faut absolument un germe pour produire un animal organisé. Le physicien de Saint-Flour est très-mauvais physicien, mais c’est un homme de beaucoup d’esprit et qui conserve le coup d’œil philosophique, lors même qu’il s’égare : il n’appartient pas à tout le monde d’être même mauvais comme lui. Sa dissertation, qui est longuette, répète ce que l’on a déjà lu dans la Philosophie de l’histoire et dans l’Homme aux quarante écus sur la formation des montagnes et sur les coquillages de mer, que les naturalistes prétendent trouver sur les monts les plus élevés et les plus éloignés de l’Océan. Elle tourne un peu court vers la fin, mais cette fin est très-philosophique ; j’ai seulement peur que les roquets de la Sorbonne ne lui trouvent le fumet de matérialisme. Aussi le R. P. Élie, carme chaussé, exhorte beau-