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JUIN 1768.

d’autant plus, en conscience, qu’il ne m’a pas été confié. Mme Riccoboni a dédié son dernier roman à M. Garrick. Cet illustre acteur lui a envoyé en retour la comédie du Mariage clandestin ; et Mme Riccoboni, conjointement avec son amie, Mlle Thérèse, ancienne actrice retirée comme elle du Théâtre-Italien, a entrepris d’enrichir la scène française de cette pièce. Ma foi, entre les deux amies le débat ; elle restera ou à Mme Riccoboni ou à Mlle Thérèse : c’est à celle qui aimera le mieux ou qui craindra le moins d’avoir des torts avec M. Garrick, et qui sera le plus convaincue de n’avoir aucun talent pour la carrière dramatique. Le secret a été du reste assez bien gardé jusqu’à présent.

La musique est de M. Kohaut, Bohémien, auteur du Serrurier et de cette infortunée Bergère des Alpes, dont M. Marmontel accoucha si laborieusement, et qui mourut le quatrième jour de sa naissance. La musique du Mariage caché est ce que M. Kohaut a fait de mieux, et ce qu’il fera jamais de mieux.

Ce pauvre Kohaut n’a point de génie, quoiqu’il soit né dans le pays de la musique : il est venu trop tôt ou trop tard en France ; son style n’était point formé quand il est arrivé, et ayant perdu ici de vue les bons modèles, il en a fait un salmigondis moitié italien, moitié français, auquel personne n’entend plus rien. Il est d’ailleurs plat ; il n’a point d’idées, point de coloris, point de magie ni dans le chant ni dans les accompagnements. Il ne se chante rien dans cette tête, et il n’y sonne rien ; sa musique ressemble à un sifflement d’oiseaux divers qu’on entend sans peine, mais qui est sans résultat. Le véritable Kohaut est celui que M. le prince de Kaunitz mena à Paris lors de son ambassade en France, qui faisait des choses charmantes, et qui jouait du luth comme un ange ; c’était le frère aîné de celui-ci. Il a, à ce qu’on assure, quitté depuis la musique pour les affaires, et se trouve employé dans le cabinet du ministère de Vienne.

La Comédie-Italienne se défendra mal avec cette pièce contre la fortune de la Comédie-Française, où Béverley-Molé attire toujours un monde prodigieux, et où la Gageure imprévue est revue à chaque représentation avec plus de plaisir. C’est le sort de Sedaine de gagner toujours à mesure qu’il avance. À