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JUIN 1768.

peuples, et dont l’autorité n’en soit mieux assurée que celle d’aucun gouvernement catholique, où le corps des prêtres entretient toujours un germe de division qui empêche le gouvernement de prendre sa consistance. Mais M. D. L. F. ne sait pas qu’il faut être homme d’État quand on veut écrire sur l’éducation ; que le législateur seul est le véritable gouverneur des enfants de son pays ; qu’il faut commencer par avoir une excellente législation avant de pouvoir se flatter d’établir une bonne éducation ; que les hommes ne s’élèvent que par des hommes et non par des gouverneurs à gages, par le grand air du pays qu’ils respirent et non par celui de la classe où ils sont renfermés, c’est-à-dire par l’esprit public qui règne dans leur patrie, et non par les adages du pédant qui les garde ; et qu’enfin les gouverneurs d’Émile et de Lysimaque ne sont que des bavards, l’un éloquent, l’autre plat, dont les déclamations séduisent pendant quelque temps cette foule d’esprits médiocres dont le genre humain abonde, mais qui n’en ignorent pas moins les vrais et les premiers éléments de l’éducation. Ce Lysimaque a une Ernestine comme Émile a une Sophie ; mais l’une est aussi plate et insipide que l’autre est pédante et bégueule. J’observe à M. D. L. F. en finissant « qu’un homme qui transplante son élève pour appliquer la dernière couche de vernis à son éducation, ou qui épuise, en habile écuyer, toutes les ressources de son art pour rendre maniable le coursier récemment pris dans les forêts de la Thrace, avant de l’atteler à un char pour entrer en lice dans les plaines olympiques », ce vernisseur ou cet écuyer, si l’on s’en rapportait à moi, n’aurait jamais un chat à élever. Vous direz qu’on peut avoir un style de mauvais goût et être honnête homme, cela est vrai ; mais un homme de sens et de tête, tel qu’il en faut pour en former un autre, ne doit pas avoir le langage affecté d’un polisson de collège.

M. d’Anville, de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres, vient de publier une Géographie ancienne abrégée, en trois volumes in-12, dont le premier est consacré à l’Europe, le second à l’Asie, le troisième à l’Afrique. Sans aucune prévention nationale, je crois qu’on peut regarder M. d’Anville comme le premier géographe de l’Europe. Il a eu toute sa vie la passion de son métier, et l’ambition de surpasser tous ceux qui y ont excellé, et le courage d’une étude et d’une application