Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

mourir, sa bâtarde Cornélie, qui était si bien et si convenablement dans son couvent. Second forfait énorme et grave. M. Walpole a dans un de ses châteaux, à Strawberry-Hill, une imprimerie pour son usage particulier. Outre ses propres ouvrages, il y a fait imprimer magnifiquement la Pharsale de Lucain. C’est déjà un assez grand tort aux yeux d’un homme de goût d’avoir multiplié le poëme de ce poëte boursouflé, plutôt que de mettre ses soins et sa dépense à une superbe édition de Virgile ou d’Horace ; mais c’est un tort encore plus grave d’avoir arraché au président Hénault son manuscrit de Cornélie, pour le faire imprimer à l’imprimerie de Strawberry-Hill, sur de très-beau papier, en beaux caractères et fort incorrectement. Le président a dédié sa pièce à son éditeur. Il le remercie de l’établissement honorable et magnifique qu’il procure à cette orpheline. Elle l’est vraiment, car son papa avertit qu’il garde toujours l’incognito ; et comme l’édition de M. Walpole ne se vendra pas, il est à croire que la Vestale le gardera aussi. Le président ne cache pas à son éditeur que cette tragédie, fruit de sa première jeunesse, a été l’ouvrage de l’amour. Il craint qu’elle ne se ressente de l’emportement d’une première passion. Le pauvre président ! Il a pu être amant aimable, mais amant emporté ! en conscience, je ne puis lui faire cette injustice. Il prétend qu’on n’aime qu’une fois dans la vie, que les autres attachements qu’on contracte ne sont que des goûts passagers, des traités de convenance, des arrangements de société, et il pourrait bien avoir raison ; mais si dans sa première et véritable passion l’amant n’a pas été plus chaud que l’auteur, le pauvre président peut se vanter d’avoir été l’amant le plus transi de son siècle. Heureusement, pour faire preuve d’un digne. amant, on n’est pas obligé de faire une tragédie chaude. On sait que le président était en son temps un homme plein d’agréments, un peu frivole, mais très-bien venu du beau sexe. Il aurait bien fait un joli madrigal, une chanson galante ; mais une tragédie, c’est autre chose. Il dit que sa pièce, après avoir été l’accident de l’amour, finit bien plus noblement par être le prix de l’amitié dont il est honoré par son éditeur. Comme cet accident de l’amour ne sera pas vendu, il faut en tracer ici une esquisse légère en peu de lignes.

La tragédie se passe sous l’empereur Domitien, et peu de