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JUILLET 1768.

temps après son avènement à l’empire. Domitien est amoureux de Cornélie ; en l’épousant, il peut l’élever au rang suprême ; un grand obstacle s’y oppose. Cornélie s’est faite vestale ; c’est à sa prise d’habit que l’empereur l’a vue pour la première fois, et qu’il a conçu la plus forte passion pour elle. Licinien, un des flatteurs et des complaisants de Domitien, dit qu’il faut mépriser cet obstacle, déclarer les vœux de Cornélie nuls, et l’épouser en dépit de Vesta et de son culte : il ne sait pas, ni l’empereur non plus, que le cœur de Cornélie n’est pas libre ; elle aime Celer, jeune héros qui vient de se signaler par une victoire éclatante contre les Gaulois ; elle l’aime malgré elle et malgré la haine qui a longtemps subsisté entre leurs deux maisons. Il fallait que ce Celer fût bien aimable, surtout pour les vestales, car une autre de ces dames, Émilie, parente de l’empereur, en est également éprise. C’est elle qui le protège auprès de Domitien, et qui lui a obtenu les honneurs du triomphe, quoiqu’il n’ait pas encore atteint l’âge prescrit par les lois. L’amour qui tourmente l’empereur et les vestales n’a pas épargné Celer ; il brûle pour la belle Cornélie ; mais la haine qui divisait les deux familles ne lui a jamais permis de faire connaître sa flamme. C’est cet obstacle, regardé comme insurmontable, qui a déterminé Cornélie à prendre le voile de Vesta, et à renoncer à tout autre engagement, ne pouvant se livrer à son amour pour ce héros. Cependant cette haine a cessé, et Celer se presse un peu d’arriver après sa victoire à Rome, dans l’espérance de faire parler en sa faveur ses exploits et sa passion. L’empereur est étonné de ce retour précipité, pour lequel le général amoureux n’avait pas attendu ses ordres ; mais comme Celer est protégé par Émilie, cette petite fredaine ne tire pas à conséquence. Domitien a besoin d’Émilie ; c’est sous le prétexte de voir sa parente qu’il peut voir l’objet de son amour. Émilie a pénétré la passion de l’empereur pour Cornélie ; elle la favorise dans l’espérance que l’exemple de Cornélie pourra faire loi pour elle. Si l’empereur peut épouser une vestale, pourquoi Celer n’obtiendrait-il pas la même dispense ? On ne sait pas trop pourquoi toutes ces vestales, si amoureuses, ont choisi un état pour lequel elles ont si peu de vocation. Quant à Domitien, il ne se doute ni de la passion d’Émilie, ni de celle de Cornélie, ni de celle de Celer. Suivant un usage établi au théâtre de temps