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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

que des pièces satiriques, d’une satire déliée et souvent sublime, et parce que c’est avec une extrême délicatesse que la satire demande à être maniée dans une monarchie, où l’orgueil de la naissance, des rangs, des titres, des charges, des places, rend chaque particulier excessivement susceptible sur tout ce qui tient à cette existence extérieure et factice ; quoi, parce que cet homme unique, se soumettant aux entraves que la sotte religion et les petites mœurs mesquines et gothiques de son pays et de son siècle ont mises de toutes parts au genre dramatique pour l’empêcher d’atteindre le but véritable et glorieux pour lequel il a été institué ; parce que, dis-je, cet homme, malgré ces entraves, a su se frayer une route vers l’immortalité, tout ce qui ne sera pas dans le genre du Tartuffe et du Misanthrope ne sera pas réputé comédie ? Que la populace littéraire juge ainsi, c’est dans la règle, et elle est faite pour cela ; mais j’exige d’un académicien plus d’étendue dans les vues, sans quoi je dirai, avec Piron, qu’il est de ces Quarante qui ont de l’esprit comme quatre. La vraie comédie chez toute nation est le tableau des mœurs, et ce tableau ne peut être fait ni avec vérité, ni avec goût, s’il n’est pas permis de mettre indistinctement toutes les conditions sur la scène. Molière eût été non-seulement un excellent faiseur de comédies, mais un grand philosophe, un profond moraliste, un véritable homme d’État, si la petite police de son pays ne s’y fût opposée. Ce n’est pas aux critiques ni aux gens de lettres à rétrécir les routes ; leur réclamation continuelle doit, au contraire, faire sentir avec le temps aux gouvernements de combien d’instruments de police efficaces et puissants ils se privent par un attachement aveugle à leurs préjugés gothiques et barbares. On ferait un beau traité de poétique sur cet objet, encore peu aperçu par nos philosophes ; et si l’on était curieux de se faire lapider par la canaille des beaux esprits, on leur prouverait que, sans rien diminuer de l’admiration pour le génie de Molière, la véritable comédie n’est pas encore créée en France.

Le lendemain de la première représentation du Joueur, un anonyme a envoyé à M. Saurin les vers suivants sur le rôle de Mme Béyerley :

De Saurin, cette lemme si belle,
De Ce cœur si pur, si vertueux,