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JUILLET 1768.

des gens qui l’embarrassent. Heureusement ces petites plaisanteries se passent derrière le théâtre ; elles ne remédient à rien, car Cornélie se tue elle-même quand elle voit qu’elle ne peut être expédiée par les autres. Celer ne peut résister à ce bel exemple, et se frappe aussi. Émilie se tue de même, mais c’est en notre présence, et après avoir fait à l’empereur un récit circonstancié de tout ce qui s’est passé. Tous les acteurs étant ainsi décédés de mort violente, Domitien seul, sans compagnie, et n’ayant plus rien à nous dire, est obligé de finir la pièce.

Ce plan puéril est exécuté de la manière la plus faible et la plus froide. Voici une année qui sera marquée dans les annales de nos théâtres par les outrages faits aux vestales. M. Fontanelle, en volant au poëte Roy son acte du Feu, de l’opéra des Éléments, où une certaine Émilie, en s’entretenant trop longtemps de ses feux avec un certain Valère, laisse aussi éteindre le feu sacré, a transformé le noble chapitre des vestales en un couvent d’ursulines ; et il faut que ce pauvre président Hénault, sur le bord de sa fosse, se souvienne de ses vieux torts envers ces dames pour révéler sa misère par la confession déplacée d’un péché ignoré de tout le monde.

— La tragédie du Joueur, par M. Saurin, dont les représentations ont été interrompues à l’occasion de la mort de la reine, paraît imprimée sous le titre ridicule de Béverley, tragédie bourgeoise[1]. Elle est dédiée à M. le duc d’Orléans ; elle avait été jouée l’année dernière sur le théâtre particulier de ce prince, à Villers-Cotterets ; il était naturel qu’elle parût sous ses auspices. L’épître de M. Saurin et le court avertissement dont elle est suivie sont d’une grande simplicité. La modestie de l’auteur doit arracher la plume des mains du critique le plus sévère. Je ne puis cependant m’accommoder des principes de poétique que l’auteur expose dans son épître dédicatoire. Il se demande si le Philosophe sans le savoir est une tragédie ou une comédie, et il n’ose décider cette question. Eh bien ! monsieur Saurin, je la déciderai : non-seulement c’est une comédie, mais c’est là la vraie comédie et son véritable modèle. Quoi ! parce qu’il s’est trouvé en France, il y a cent ans, un homme d’un génie rare, d’une verve irrésistible, qui n’a fait proprement

  1. Paris, Duchesne, 1768, in-8°.