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AOUT 1768.

fou plat, au milieu du tourbillon de Paris. Remarquez que le but de l’auteur latin est philosophique et profond, et que celui de l’auteur français consiste à prouver un lieu commun : personne ne doute que, toutes choses égales d’ailleurs, il ne vaille mieux être élevé par un homme sage que par un fou ; l’avantage d’une éducation indulgente sur l’éducation sévère est bien autrement problématique.

Mais avant de nous livrer à quelques réflexions, il faut donner ici une idée des Deux Frères, de M. de Moissy.

M. de Fontaubin est homme de la cour, veuf et père de deux enfants ; l’aîné, le marquis, âgé d’environ vingt ans, est un de ces élégants qui ont tous les travers de la jeunesse française son père est aussi petit-maître et aussi frivole que lui, et le fils a parfaitement répondu à l’éducation qu’un tel père a pu lui donner. Le chevalier, frère cadet du marquis, âgé d’environ dix-huit ans, a été élevé par son grand-père, loin de Paris, dans une terre dont il n’est jamais sorti. Ni son père ni son frère ne le connaissent, pas même de figure ; mais ils sont bien persuadés tous les deux que ce chevalier est un petit paysan renforcé, qui n’a ni maintien, ni grâce, ni agréments dans l’esprit, et dont l’existence dans le monde sera aussi ridicule qu’embarrassante. Son grand-père, à qui il doit l’éducation, est un homme simple et vertueux qui hait les grands airs, et qui ne fait cas que des qualités essentielles. M. de Moissy en a voulu faire une espèce de philosophe, qui doit sa philosophie moins à l’étude qu’à un naturel heureux ; mais, dans le fait, il n’est que misanthrope et frondeur des usages reçus, et surtout sermonneur importun et impitoyable. Vous demanderez comment un homme d’un caractère si sensé et si sévère a pu élever son propre fils d’une manière si contraire à ses principes ; il nous explique lui-même cette énigme dans le cours de la pièce. Il se reproche la complaisance lâche qu’il a eue pour la volonté de sa femme en souffrant qu’elle fît de son fils un franc petit-maître. Il a voulu du moins effacer le souvenir de ce tort impardonnable en s’emparant de l’éducation d’un de ses petits-fils et en lui inculquant des principes bien opposés à ceux du monde, et il a la satisfaction de voir que le chevalier a parfaitement répondu à ses soins et à son attente.

Ce qui amène ce misanthrope campagnard, ce grand-père à