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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

tation des Deux Frères, ou la Prévention vaincue, comédie en vers et en cinq actes, par M. Moulier de Moissy, ancien garde du corps du roi. Ce poëte est connu par une Nouvelle École des femmes, qui eut un succès prodigieux sur le Théâtre-Italien, et qui est, à mon grẻ, une des plus plates et des plus insipides pièces qu’il y ait sur ce théâtre, qui en a provision[1]. Mais, dans le temps de la fortune de la Nouvelle École des femmes, l’Opéra-Comique n’était pas encore réuni à la Comédie-Italienne, et la bonne compagnie n’allait guère à ce théâtre. C’étaient alors messieurs les maîtres des comptes d’un côté, et messieurs les maîtres bouchers de la Pointe-Saint-Eustache de l’autre, qui décidaient du sort des pièces nouvelles. Ces deux maîtrises n’étaient pas toujours d’accord dans leurs décisions ; les maîtres bouchers sifflaient souvent des tirades que messieurs les maîtres des comptes trouvaient, sur la parole de l’avocat Marchand, remplies de sel et de finesse. Mais M. de Moissy eut le bonheur de réunir tous les suffrages ; et quand une fois le succès d’une pièce est établi, on oublie quels ont été les juges qui en ont décidé, et on finit par lui accorder un certain mérite.

Les juges du Théâtre-Français ne sont pas tout à fait aussi faciles que la chambre des comptes et la Pointe-Saint-Eustache, M. de Moissy vient de l’éprouver aux dépens de sa gloire. La toile n’était pas encore levée que les mauvais plaisants disaient déjà que le public ferait commettre un inceste aux Deux Frères, en les envoyant coucher avec les Deux Sœurs, qui sont tombées au mois de novembre dernier, et cette mauvaise pointe a été malheureusement accomplie ; les Deux Frères, de M. de Moissy reposent sur le lit de l’oubli à côté des Deux Sœurs, de M. Bret.

Cette pièce n’a rien de commun avec les Adelphes, ou les Frères, de Térence, si ce n’est que le poëte français, à l’imitation du poëte latin, a voulu montrer les effets divers de deux éducations différentes. Térence a voulu nous montrer les avantages d’une éducation indulgente sur l’éducation sévère. M. de Moissy a voulu nous prouver qu’il vaut mieux être élevé par un père sensé, dans la solitude de la campagne, que par un

  1. Voir tome IV, p. 23.