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AOUT 1768.

de jouir de vingt mille livres de rente de plus doit passer à la sœur cadette. Le marquis s’apprête donc à épouser Mme d’Origny ; le bien qu’elle lui apportera servira à payer ses dettes, et à lui donner le moyen d’en faire de nouvelles à l’infini. Son valet lui observe judicieusement qu’il ne gagne rien à cet arrangement, si ce n’est une femme dont il se passerait fort bien ; le marquis est bien persuadé qu’un homme comme lui a beau s’abîmer, qu’il ne peut jamais en venir à bout.

Il a cependant disposé du bien de Mme d’Origny un peu vite ; et d’abord celle-ci a le choix entre lui et son frère ; pourvu qu’elle épouse un Fontaubin, la volonté du testateur est remplie. Il est vrai que le marquis ne suppose pas un instant qu’elle puisse préférer une espèce de sauvage comme doit être son frère à un homme de son mérite ; ainsi, il est parfaitement tranquille sur le choix, et il se dégage, même à tout événement, de ses engagements vagues avec Dorimène, à qui ses empressements ont pu faire croire qu’il renoncerait pour l’amour d’elle aux avantages que Mme d’Origny était en droit de lui faire : il est bien éloigné de savoir ce qui se passe dans le cœur de cette aimable veuve, et de prévoir que les vingt mille livres de rente, avec le droit de choisir entre son frère et lui, sont prêtes à passer à Dorimène.

C’est là, en effet, le projet de Mme d’Origny. Elle a vu, environ sept ou huit ans avant le jour de la pièce et, par conséquent, avant son premier mariage, un jeune homme qui lui a inspiré la passion la plus vive et la plus durable : elle ne l’a vu qu’une seule fois, elle n’en a pu savoir ni le nom, ni l’état, ni la demeure ; mais son cœur a été blessé d’un trait que rien n’en pourra arracher. C’est bien assez d’avoir contracté un mariage contre son inclination ; actuellement que le sort lui a rendu sa liberté, son parti est pris ou de ne la plus perdre, ou de ne la sacrifier qu’à l’inconnu qui a su toucher son cœur, supposé que le hasard lui soit assez favorable pour le rencontrer, et qu’il soit digne de sa tendresse. Tel est l’état du cœur de Mme d’Origny ; mais personne ne sait son secret, et le grand-père des jeunes Fontaubin, qui la connaît et l’estime depuis longtemps, est accouru de sa solitude, persuadé qu’une femme aussi raisonnable que cette jeune veuve préférera le chevalier son petit-fils et son élève au marquis son autre petit-fils, mais qui a reçu