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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

une éducation bien différente. La douleur et la surprise de ce bon grand-papa ne sont pas médiocres quand il s’aperçoit que Mme d’Origny, malgré tous les éloges qu’il lui fait de son élève, ne marque aucun désir de le connaître.

Il a amené cet élève chéri avec lui ; mais n’ayant jamais voulu le laisser voir à son père ni à son frère, connaissant d’ailleurs la prévention que tous les deux ont contre lui, il le fait paraître ici sous le nom de Dorancé et sous le titre d’un ami intime du chevalier, qui doit lui-même arriver à Paris sous peu de jours. Le grand-père connaît les travers de son fils et de son petit-fils ; il est persuadé qu’en présentant le chevalier sans aucune précaution, son père et son frère lui trouveront mille ridicules : il veut que le chevalier se fasse aimer et estimer d’eux sous le nom de Dorancé ; s’il réussit, ce sera le moment de se faire connaître. Il en coûte beaucoup au chevalier de se prêter à cette espèce de supercherie : élevé dans toute la simplicité et toute la franchise de l’âge d’or, il regarde toute espèce de mensonge avec une sorte d’horreur ; cependant il est accoutumé à déférer d’inclination aux vues de son grand-père, et vous allez voir qu’il espère tirer parti du rôle qu’on lui impose pour les intérêts de son propre cœur. Ainsi, il paraît sous le nom de Dorancé.

Ses manières aimables et simples, quoique dénuées de cette sorte d’agréments que donne l’usage du monde, lui concilient. la bienveillance de tout le monde, même de son père et de son frère, qui sont singulièrement gâtés sur cet article : ils ont plusieurs entretiens avec lui : ils lui parlent beaucoup de son ami le chevalier, qu’ils se représentent comme un être fort ridicule. Il a à combattre les préventions les plus fortes, et s’il ne réussit pas à les vaincre pour son prétendu ami, il fait à chaque fois des progrès lui-même dans le cœur de son père : quant à son frère, c’est un être trop frivole, trop rempli de lui-même, pour être touché des sentiments et des vertus des autres.

Le grand-père s’applaudit déjà de la tournure qu’il a prise pour faire rendre justice à son élève ; mais il ignore que le plus grand obstacle que le mariage projeté par lui entre Mme d’Origny et le chevalier rencontrera viendra du chevalier même ; il ne sait pas tous les secrets de son pupille. Ce jeune homme, qui a si bien répondu à ses vœux et à ses soins, est doué d’un cœur sensible et tendre : il y a sept ou huit ans déjà qu’il a éprouvé