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AOUT 1768.

la stérilité et la faiblesse de génie comme une fable aussi mal conçue et aussi mal ourdie.

Vous savez maintenant tout le reste de la pièce. Le chevalier, sous le nom de Dorancé, fait tout ce qu’il peut pour dégoûter Mme d’Origny de l’idée de le préférer à son frère ; et, comme le poëte ne peut les mettre l’un vis-à-vis de l’autre sans que sa pièce ne soit finie, Dorancé s’adresse à la soubrette de Mme d’Origny, et lui fait un portrait du chevalier, peu fait, selon lui, pour lui attirer aucune préférence sur son frère. Il en arrive cependant tout autrement. Plus Dorancé prête au chevalier de qualités qu’il juge devoir déplaire à une femme de Paris, plus la soubrette l’assure que ces qualités sont analogues au caractère de sa maîtresse. Cette situation, traitée avec un peu de talent, aurait pu fournir une scène véritablement comique. Le contraste de la simplicité du caractère de Dorancé, avec la finesse du rôle qu’il veut jouer, les maladresses et les gaucheries qui en résultent, tout cela aurait pu être plaisant, si M. de Moissy était quelque chose, et s’il avait connu assez la bienséance du théâtre pour mettre du moins son jeune homme aux prises avec la sœur ou avec une amie intime de Mme d’Origny, et non avec sa femme de chambre.

Lorsque enfin la reconnaissance des deux amants se fait, lorsqu’ils se rencontrent pour la première fois dans le cours de la pièce en présence du marquis et de Dorimène, et par conséquent sans pouvoir s’expliquer, Mme d’Origny n’est pas encore au fait de tout ce que cette rencontre a d’heureux pour elle. Elle ne sait pas que ce Dorancé est le chevalier de Fontaubin. Le grand-père est au comble de ses vœux quand l’aimable veuve lui avoue qu’elle a toujours aimé Dorancé, et qu’elle ne pourra jamais aimer ni le chevalier, ni un autre, qu’elle renonce par conséquent aux vingt mille livres de rente en faveur de sa sœur ; elle ne sait pas que cette fortune lui est assurée plus que jamais.

Dans tout le cours de la pièce, Dorancé a fait un chemin incroyable dans le cœur de son père. La voix secrète de la nature s’est fait entendre, un penchant insurmontable entraîne ce père peu tendre vers Dorancé. « Ah ! si le chevalier pouvait lui ressembler. — Je lui ressemble trait pour trait. » Dorancé, au moment d’une effusion de cœur de son père, se jette à ses pieds