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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

en présence de tous les personnages de la pièce, et lui montre son fils le chevalier, contre lequel il a nourri jusqu’à présent une prévention si injuste, et que la voix secrète de la nature l’a pourtant forcé d’aimer sous un nom étranger. C’est une belle chose que cette voix secrète ; je l’estime presque autant que le coup de sympathie qui a enflammé deux jeunes cœurs à dix ans. Après cette dernière reconnaissance, tout s’arrange à souhait. Mme d’Origny donne la main au chevalier, on fait épouser au marquis Dorimène, dont le caractère s’assortit à merveille avec le sien. Mme d’Origny exige que sa sœur partage avec elle par moitié le legs que leur oncle a attaché à leur mariage. On a réciproquement les procédés les plus nobles, qui auraient bien dû engager le parterre à en avoir avec l’auteur ; mais ce juge redoutable s’en est tenu à la rigueur de la justice. Il a renvoyé le grand-père prédicateur dans sa terre, et a prié les deux frères et les deux veuves de recommencer le partage des vingt mille livres de rente, comme bon leur semblerait, partout ailleurs que dans l’étude de messieurs les Comédiens ordinaires du roi.

Si M. de Moissy n’a pas pu se tirer des embarras de sa fable, il n’a guère été plus heureux dans le caractère de ses personnages. Ils sont tous d’une insipidité et d’une platitude extrêmes. Celui du père des deux jeunes Fontaubin est le plus misérable de tous ; c’était cependant celui de tous où le poëte pouvait montrer le plus de génie. Il s’agissait de peindre un homme frivole, ayant tous les airs et tous les travers de Paris : un fieffé petit-maître, en un mot, devenu père. Cette espèce de pères ne se voit qu’à Paris, et ne peut exister ailleurs. Rien n’était plus convenable que de les mettre sur la scène et de les livrer au ridicule et à la vindicte publique ; mais rien n’était plus difficile, et il fallait pour cela un autre homme que M. de Moissy. Chaque trait, chaque coup de crayon aurait exigé autant de génie que d’usage du monde, une touche sûre, un discernement fin et délicat.

Un style inégal, faible et incorrect, a achevé la ruine des Deux Frères. M. de Moissy est brouillé avec les termes propres ; il parle habituellement une langue bigarrée et barbare qu’on a toute la peine du monde à prendre pour du français. Il n’est pas plus heureux en métaphores qu’en termes propres ; quand