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AOUT 1768.

à M. du Peray, avocat de Caen, qui avait rendu plusieurs services à M. de Croismare, et n’avait jamais voulu recevoir d’honoraires. Le tableau partit pour Caen, avec cette inscription :

M. Antonius Croismarius
Tabellam sua manu pictam
In cubiculum Andre du Perai
Dedicavit
Ut votum solveret, lubens merito,
Amicitiœ et perpetua erga se benevolentia.

On pilerait l’Académie des inscriptions tout entière dans un mortier, plutôt que de lui faire faire une inscription dans ce goût-là ; ce n’est cependant pas, comme vous voyez, exiger l’impossible.

Nous avons eu cette année deux traductions nouvelles d’ouvrages classiques, qui ont occupé le public et dont il faut parler ici.

La première est la traduction du poëme de Lucrèce, De la Nature des choses, par M. de La Grange. Ce traducteur a été anciennement instituteur au collége de Beauvais, où M. Thomas régentait aussi. Il s’est chargé depuis de l’éducation des enfants de M. le baron d’Holbach, et c’est dans ses moments de loisir qu’il a entrepris et achevé la traduction de Lucrèce. Elle a paru d’abord en deux volumes grand in-8°. Le libraire l’a fait orner d’estampes suivant la manie du jour, et l’a vendue dix-huit livres sur du papier ordinaire, et dix écus sur du papier à grande marge[1] ; ce prix excessif a fait tort au débit de l’ouvrage : peu de personnes se sont souciées de mettre tant d’argent à une traduction de Lucrèce ; mais le libraire vient d’en publier une petite édition qui ne coûte que six livres, je crois, et qui se vendra beaucoup.

Si un homme du monde me demande si M. de La Grange entend bien le latin, je lui dirai oui ; si M. Ernesti me faisait cette question, je lui dirais non, et j’aurais raison dans les deux cas : cela n’empêchera pas la traduction de M. de La Grange de rester et de faire oublier celle du baron des Coutures, qui jouissait d’une certaine réputation, apparemment parce qu’il n’y en

  1. Un frontispice et six très-belles figures de Gravelot, gravées par Binet.