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AOUT 1768.

du royaume pour l’exciter aux plaisirs et pour en avoir sa part, je disais quelquefois à cette jeunesse : « Voyez-le marcher, messieurs, c’est un cours de morale ambulant. » Il joignait à ces vices une malpropreté dégoûtante : et, malgré tout cela, la facilité de ses manières, sa douceur et sa gaieté, le rendaient très-aimable dans la société ; il y portait ce je ne sais quoi de piquant qu’on trouve aux gens d’esprit sans caractère : le défaut de nerf d’un côté, et de l’autre la finesse et la vivacité de leur esprit, les rendent sans cesse vacillants ; leur conversation est pleine de traits ; mais quand ces traits ne font pas leur effet sur-le-champ, ils sont désarçonnés, parce qu’ils ne sont jamais sûrs du prix de ce qu’ils disent. Cela fait qu’ils tâtent sans cesse le terrain ; que les traits que leur esprit fournit semblent plutôt leur échapper malgré eux, et qu’ils ont l’air de se moquer autant d’eux-mêmes que des autres. Je ne connais rien de plus amusant dans un cercle que cette espèce de tournure, et rien de moins propre à un commerce d’amitié ; aussi les gens aimables de cette trempe sont condamnés à représenter toute leur vie dans un cercle pour l’amusement des assistants. Ils ont encore une petite pointe de méchanceté, un penchant à la moquerie, dont leurs meilleurs amis ne sauraient être garantis. Leur religion n’est pas à l’épreuve d’un bon mot ; mais on aurait tort de leur en faire un crime, ils n’ont pas la force d’en commettre. Le marquis de Maugiron faisait des vers avec facilité, comme le prouvent plusieurs chansons faites contre ses amis, où il ne manquait pas de fourrer toujours quelque couplet contre lui-même, afin de donner le change sur l’auteur. Il a fait, peu de jours avant sa mort, une espèce de testament qu’il aurait appelé avec plus de raison une confession générale. Cet écrit est partagé en trois points comme un sermon, et ces trois points sont intitulés Mes Vices, mes Torts, mes Malheurs. Il était tombé malade chez l’évêque de Valence en Dauphiné, qui était, je crois, de ses parents. Comme la maladie prenait une tournure sérieuse, tout le clergé de la cathédrale s’apprêtait à lui donner son passe-port avec la plus grande solennité. Pendant qu’on faisait les préparatifs pour la cérémonie, il dit à son médecin, qui était au chevet de son lit : « Je vais bien les attraper ; ils croient me tenir, et je m’en vais. » Il se tourna de l’autre côté et lorsque les prêtres arrivèrent avec leur gou-