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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

commun dans les découvertes de cette espèce, elle est aussi simple que vraisemblable, et n’a rien de forcé. Si l’on n’applique pas ces vers à Lucrèce, on ne saurait plus dire à qui ils conviennent. D’ailleurs, il importe trop au repos de notre philosophe que Virgile ait rendu justice au poëme de Lucrèce ; et comme j’ai remarqué qu’il dort beaucoup mieux depuis cette découverte, je me suis rendu à son évidence. M. de La Grange observe que cette application n’a encore été faite par personne ; il fallait donc en nommer l’auteur.

L’autre traduction dont je me suis proposé de parler est celle des Annales de Tacite, par M. l’abbé de La Bletterie, et elle mérite une attention particulière pour des raisons que je me réserve de déduire à la première occasion[1].

— Le mariage de Mme la marquise de Maugiron, qui prend le parti, à l’âge de quarante-cinq ans, de convoler en secondes noces avec un gentilhomme de Bretagne âgé de trente, et appelé M. le comte de Bruc, ajoutera un nouveau degré de vérité à la petite comédie de la Gageure imprévue, où Mme la comtesse de Bruc joue un rôle sans paraître ; mais il est vraisemblable que l’auteur sera obligé de changer de nom. Je ne fais mention de ce mariage que pour me reprocher de n’avoir pas consacré quelques lignes de ces feuilles à l’éloge funèbre du premier époux. M. le marquis de Maugiron, décédé à Valence au commencement de l’année dernière, à l’âge de quarante et quelques années, était un homme de qualité du Dauphiné. Après la dernière guerre, il fut compris dans la promotion, et obtint le grade de lieutenant général des armées du roi. C’était, du côté des mœurs, un des hommes les plus décriés qu’il y eût en France. La passion effrénée du plaisir et une faiblesse de caractère incroyable l’avaient jeté, dès sa première jeunesse, dans des débauches excessives, et dans la crapule la plus complète, dont les suites l’ont conduit au tombeau. À l’âge de vingt ans, il était rongé de goutte et d’autres maux plus déshonnêtes, et perclus de tous ses membres ; il faisait la guerre dans cet état, appuyé sur des béquilles ; il aimait à la passion la vie qu’on mène à l’armée. Je l’y trouvai en 1757 et en 1762, et comme il se fourrait toujours dans le quartier général parmi la jeune noblesse

  1. Voir ci-après la lettre du 15 septembre.