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AOUT 1768.

s’enrichir des dépouilles de la Pologne. Je ne suis pas content de cette feuille. Elle est à la vérité remplie de ces traits plaisants qui caractérisent les ouvrages de la manufacture, mais ces traits ne sont pas ici à leur place. Il ne fallait attaquer ici ni Jésus-Christ, ni saint Pierre, ni saint Paul, il fallait défendre la cause des citoyens. Il fallait que le major du roi de Prusse prouvât ce que son maître avoue dans sa déclaration, que jamais la liberté et les droits de la religion catholique n’ont été mieux affermis que par la dernière diète de Pologne, car ces droits ne peuvent consister que dans les oppressions des autres religions. Il fallait montrer combien il est absurde de vouloir asservir les opinions lorsqu’il n’est pas libre à qui que ce soit de se choisir telle opinion de préférence à telle autre. Et lorsqu’on aurait démontré tout cela avec toute l’éloquence et toute l’énergie possible, on n’aurait converti aucun des confédérés à la raison et à la modération ; il faut d’autres moyens pour cela. La Pologne est aujourd’hui attaquée de cette fièvre dangereuse et convulsive dont l’Allemagne et la France étaient si grièvement malades dans les deux siècles précédents ; il faut espérer que les médecins russes abrégeront le cours de la maladie. Cette crise est inévitable, fâcheuse et quelquefois terrible, mais elle fait éclore les grands talents et les grands hommes. Il est vrai que lorsque la nature dit à un héros : Sois distingué par tes vertus, elle ajoute souvent traîtreusement in petto : et par tes malheurs.

— Il y a une autre manufacture établie à Amsterdam dans la boutique du libraire Marc-Michel Rey, d’où il sort continuellement une foule incroyable de livres contre la religion. On ne connaît point le chef ni les collaborateurs de cette manufacture ; il y a grande apparence qu’ils sont quelque part en France, et qu’ils travaillent à la vigne du Seigneur en cachette et à leur manière. Ils sont embrasés d’un beau zèle, mais il s’en faut bien que leurs ouvrages valent ceux de la manufacture de Ferney. Ils n’ont ni la légèreté, ni la finesse, ni la grâce de cette fabrique unique en Europe. On trouve dans les livres du fond secret de Marc-Michel Rey par-ci par-là quelques bonnes pages, mais elles ne dédommagent pas de l’ennui du livre entier, qui n’est la plupart du temps qu’un fatras de raisonnements communs et de redites ; il s’en faut bien que cela ait le piquant du