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MAI 1768.

La morale a besoin, pour être bien reçue,
Du masque de la fable et du charme des vers ;
Et c’est la seule vierge, en ce vaste univers,
Et c’esQu’on aime à voir un peu vêtue.
Et c’esSi Minerve même ici-bas
Et c’esVenait enseigner la sagesse,
Et c’esIl faudrait bien que la déesse
À son profond savoir joignit quelques appas ;
Le genre humain est sourd quand on ne lui plaît pas.
Pour nous éclairer tous, sans déplaire à personne,
La charmante Minerve a pris vos traits charmants :
Et c’esEn vous voyant, je le soupçonne ;
Et c’esJ’en suis sûr quand je vous entends.


SUITE DU LORENZIANA.

M. le chevalier de Lorenzi parla un jour assez légèrement du savoir de M. de Saint-Lambert aux échecs. « Vous oubliez, lui dit celui-ci, que je vous ai gagné quinze louis au trente sols, pendant notre campagne en Minorque. — Il est vrai, répond le chevalier ; mais c’était sur la fin du siège. »

Pendant ce siège, le chevalier allait tous les soirs à la tranchée, muni d’un télescope et d’un attirail d’autres instruments astronomiques, pour faire ses observations. Un jour il s’en revient à son quartier, ayant laissé tous ses instruments à la tranchée. « On vous les volera, chevalier, lui dit M. de Saint-Lambert. — Oh ! non, lui répond le chevalier ; j’ai mis ma montre à côté. »

C’est le chevalier de Lorenzi qui a fait casser la tête à l’infortuné amiral Byng, parce que c’est lui qui lui a fait perdre son combat ; c’est un fait certain et une anecdote assez curieuse. Le chevalier, fouillant dans le taudis où on l’avait logé après le débarquement en Minorque, découvrit dans un coin le livre des signaux de la flotte anglaise. Après l’avoir examiné et reconnu, il le porta à M. le prince de Beauvau, qui le remit à M. le maréchal de Richelieu. On s’en méfia d’abord ; mais lorsque le combat naval commença, on eut bientôt lieu de reconnaître que les Anglais suivaient leurs signaux de point en point. On eut, par ce moyen, la facilité de prévenir toutes leurs manœuvres, et ils furent obligés de se retirer. Le chevalier de Lorenzi, trop distrait pour se souvenir du service qu’il avait rendu, oublia