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grer quand même. Quant aux autres ils font de la colonisation comme pis-aller, pour ne pas s’expatrier, la vie américaine n’ayant aucun charme pour eux.

C’est à ce genre de colonisation que nous devons les paroisses si pauvres et qui abondent dans certaines parties de la province, à vingt ou trente milles des chars. Il y a dix, vingt, trente ans qu’elles sont ouvertes, et quand nous en parcourons les rangs, nous ne tardons à nous faire une idée des souffrances endurées là, grâce aux traces qui en sont restées, et qui disent bien haut que l’heure de l’aisance n’a pas encore sonné. En effet, ils sont encore loin le confort et le bien être dans ces maisons au mince tuyau qui perce le toit, sans lambris ni doubles fenêtres, ni fausses portes en hiver. Et puis, quel isolement ! Loin des églises, et des écoles, et des voisins, le mari est absent, au bois pour gagner ; on n’a pas toujours pour sortir ni la voiture ni les vêtements nécessaires.

Et pourquoi cette apparence si pauvre, et cette pauvreté si réelle ?

Ce n’est pas le résultat de la paresse, le colon est actif et vaillant ; ce n’est pas le vice non plus, on ne boit pas ou très peu dans ces campagnes, et la conduite y est généralement bonne ; mais c’est la distance et l’éloignement du marché, et puis l’ignorance du cultivateur. Son mode de culture n’est pas assez pratique, ni assez rationnel, ni assez payant. En un mot, il ne connaît pas les secrets de son métier.

« Spectacle, désolant, disait l’auteur de Jean Rivard, que celui d’un homme intelligent et courageux qui épuise sa vigueur sur un sol ingrat »[1], mais combien plus désolant celui d’un homme intelligent et courageux qui épuise son intelligence et sa vigueur sur un sol riche et fertile, qu’il ne sait pas cultiver, parcequ’on ne le lui a pas enseigné. »

Alors, à quoi bon grossir le nombre de ces paroisses ? L’agriculture s’y trouve dans une souffrance extrême. Puis, le colon n’a plus qu’à se faire le serviteur du lumberman qui après avoir accaparé nos dépouilles s’enrichit encore des sueurs et du sang de notre travail, presque toujours rétribué par un salaire de famine.

« C’est là l’origine de cette classe d’hommes, moitié bûcherons, moitié agriculteurs, classe ignorante, sans ambition et

  1. Jean Rivard, p. 22.