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les conditions du progrès scandinave

inverses qu’imposent les frontières et les rivages. Son double destin à cet égard s’est dessiné de bonne heure : tandis que Norvégiens et Danois se ruaient à la conquête des Orcades, des Shetland, des Hébrides, des Féroé et qu’ils essaimaient en Islande et en Normandie, les Suédois travaillaient laborieusement à arrondir leur domaine terrien, d’abord en remontant vers le nord de la péninsule et plus tard en s’enfonçant à l’est du côté de la Moscovie. Que les Scandinaves se confient trop exclusivement aux flots et voici que leur patrimoine devient dangereusement vulnérable. Qu’ils tiennent au contraire leurs regards trop obstinément tournés vers les ambitions territoriales et quelque chose s’appauvrit et végète en eux qu’on sent nécessaire au bon équilibre de leur race. N’est-ce pas là le décalque exact de notre politique extérieure française ?

Des blessures ?… le rapprochement s’impose à toutes les mémoires. Ce n’est pas en cent ans ni en cinquante ans que s’efface l’œuvre de plusieurs siècles et, sous la domination russe et allemande, le scandinavisme en Finlande et en Slesvig est demeuré singulièrement robuste et vivace. Les échos que le seul nom des provinces séparées éveille là-bas dans les cœurs fidèles, nous les sentons vibrer dans les nôtres quand s’évoque l’image endeuillée de l’Alsace et de la Lorraine. Impossible à un peuple qui a subi une pareille épreuve de n’en pas conserver une empreinte indélébile et sans cesse ravivée.

Non moindre est l’action qu’exerce une épopée triomphale s’étalant somptueusement à travers toute une période d’histoire internationale. Le plus pacifique des Français, le plus décidé à respecter scrupuleusement les autonomies voisines, est influencé quand même par le fait qu’entre Marengo et Waterloo des annexions indéfinies ont été opérées en son nom et que Rome et Amsterdam ont appartenu à l’empire géant édifié par l’homme qui étendit jusqu’aux limites du monde le prestige et la gloire du drapeau tricolore. « Ce fut à nous, » songe-t-il en parcourant d’énormes étendues de pays retournés aujourd’hui à leur