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ses autres passions. Le caractère commercial et mercantile que nous attribuons à l’histoire entière des États-Unis n’a existé, ni à l’époque coloniale, ni même au début de l’indépendance. On dit : les Américains alors faisaient tous du commerce (je prends ce mot dans son sens le plus vaste), — cela est évident ; qu’auraient-ils fait ? Ils n’avaient pas, sans doute, le moyen de devenir avocats ou hommes de lettres. Mais, à aucun moment, la passion de la fortune n’a dominé en eux jusqu’à ce que, par l’acquisition de la Louisiane, le contient entier se soit ouvert à eux. Ils ont entrevu dès lors la possibilité d’un enrichissement individuel excessif. Cela a duré, — par suite de diverses circonstances très intéressantes à étudier et que je n’aurais pas manqué de vous exposer si j’en avais eu le temps, — cela a duré, jusqu’à nos jours. Cela va prendre fin : on pourra encore faire fortune ; on ne pourra plus devenir, en quelques années ou en quelques mois, un homme colossalement riche. Une telle possibilité n’est pas normale ; elle est le propre d’une société en formation et non d’une société formée. Nous verrons alors si l’Américain est susceptible de devenir un de ces commerçants qui, aimant leur métier et faits pour l’exercer, édifient lentement et sagement une fortune moyenne — ou bien si ce qui l’a tenté jusqu’ici dans le commerce, ç’a été l’ampleur inattendue des horizons et si, une fois ces horizons rétrécis, il ne préfère pas s’adonner à d’autres besognes.

Et puis, enfin, l’intérêt ne dicte pas nécessairement une attitude pacifique : la guerre enrichit souvent ; elle ouvre des routes nouvelles, crée des débouchés, met de l’imprévu dans les affaires et précisément cet imprévu est pour beaucoup dans le charme que les affaires possèdent aux yeux des Américains. Ne prenons donc pas exemple sur l’Angleterre pour conclure à l’existence d’un tel cran d’arrêt dans les destins des États-Unis. Les États-Unis sont compacts ; l’Angleterre est éparpillée ; sa vulnérabilité est bien autre que la leur.

Le frein, s’il ne se brise pas, ce sera ce rouage dont je vous ai signalé à plusieurs reprises l’admirable fonctionnement, ce sera la démocratie municipale, ou plutôt l’esprit qui la fait mouvoir ; cet esprit de bon sens, de saine activité, de simplification qui distingua très vite la commune coloniale. Les États-Unis, il est vrai, nous ont donné depuis lors le spectacle de scandales municipaux sans précédents. Mais ces scandales ont éclaté précisément là où l’esprit municipal était annihilé, où l’élément vraiment américain se trouvait réduit à l’impuissance, dans de