Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/104

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d’un temps illimité pour l’évolution des combinaisons fortuites manque absolument ; que les races se sont succédé, et très-probablement aussi se sont modifiées selon les circonstances extérieures, mais sans que la nature procédât plus que maintenant par des myriades d’ébauches informes, avant d’aboutir fortuitement à un type organique susceptible de se conserver comme individu et de se perpétuer comme espèce. L’existence d’une force plastique, qui d’elle-même procède d’après des conditions d’unité et d’harmonie qui lui sont propres, tout en se mettant en rapport avec les circonstances extérieures et en en subissant l’influence, est dès lors, pour tout esprit sensé, non-seulement la conséquence probable d’un raisonnement abstrait, mais aussi la conséquence indubitable des données mêmes de l’observation.

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Le plus souvent, les trois principes ou chefs d’explication que nous avons mentionnés doivent être concurremment acceptés, sauf à faire la part de chacun selon la mesure de nos connaissances et la valeur des inductions qui s’en tirent. Un jardinier soumet à la culture une plante sauvage, la place dans des conditions nouvelles, et bientôt le type organique, cédant aux influences extérieures, se met en harmonie avec ces nouvelles conditions, et par suite en harmonie avec les besoins en vue desquels l’homme a dirigé sa culture. Certains organes avortent ou s’amoindrissent ; d’autres organes, comme les fleurs, les fruits, les racines, qui sont pour l’homme des objets d’utilité ou d’agrément, prennent un surcroît de développement, de vigueur et de beauté. Voilà pour la part des réactions et des influences susceptibles d’aboutir à une harmonie finale, et qui (dans ce cas) substituent un ordre harmonique nouveau, provoqué par l’industrie de l’homme, à l’ordre qu’avaient établi les lois primordiales de la nature, en dehors de l’action de l’homme, et antérieurement à l’introduction de cette force nouvelle dans l’économie du monde. Le même jardinier fait des semis à tout hasard, et parmi le grand nombre de variétés individuelles qui résultent fortuitement des diverses dispositions des germes, combinées avec les influences accidentelles de l’atmosphère et du sol, il s’en trouve quelques-unes qui réunissent les conditions de propagation, en ce sens que le cultivateur a intérêt à les propager, de préférence aux autres qu’il sacrifie. Les individus conservés