Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

éminent. L’induction à laquelle la raison céderait en pareil cas est absolument de même nature que celle qui nous fait prolonger, au delà du dernier point de repère, une courbe dont l’allure nous est indiquée par des points de repère en nombre suffisant (46).

90

Si l’ordre que nous observons dans les phénomènes n’était pas l’ordre qui s’y trouve, mais l’ordre qu’y mettent nos facultés, comme le voulait Kant, il n’y aurait plus de critique possible de nos facultés, et nous tomberions tous, avec ce grand logicien, dans le scepticisme spéculatif le plus absolu. Mais il ne suffit pas de poser gratuitement une telle hypothèse, il faut la contrôler par les faits, et nous avons montré que tous les faits y répugnent. À moins d’outrer l’idéalisme jusqu’au point d’admettre que la pensée crée de toutes pièces le monde extérieur (et nos recherches n’ont point pour objet la critique de pareils écarts de la spéculation), tant qu’on ne donne aux idées qu’une vertu de représentation et non de production, on doit accorder qu’il existe dans les choses un ordre indépendant de notre manière de les concevoir, et que, s’il n’y avait pas harmonie entre l’ordre de réception par nos facultés et l’ordre inhérent aux objets représentés, il ne pourrait arriver que par un hasard infiniment peu probable que ces deux ordres s’ajustassent de manière à produire un ordre simple ou un enchaînement régulier dans le système des représentations. C’est précisément parce que cette harmonie n’est point parfaite et ne comporte pas plus que les autres harmonies de la nature une précision rigoureuse (73), qu’il peut se présenter et qu’il se présente en effet des désordres partiels, des lacunes et des contradictions dans le système de nos conceptions. L’idée de l’ordre a cela de singulier et d’éminent, qu’elle porte en elle-même sa justification ou son contrôle. Pour savoir si nos autres facultés nous trompent ou ne nous trompent pas, nous examinons si les notions qu’elles nous donnent s’enchaînent ou ne s’enchaînent pas suivant un ordre qui satisfasse la raison ; mais l’idée de l’ordre ne peut