Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/270

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l’humanité, sans avoir directement conscience de la loi qui règle les actes de l’homme, observerait l’homme comme nous observons les espèces animales, assez bien pour entrevoir dans leur ensemble les rapports de l’humanité avec le reste de la création. Il est donc tout simple que l’étude philosophique de l’homme comprenne deux parties essentielles, distinctes quoique unies, et qu’à chaque théorie philosophique de la connaissance ou des idées corresponde une théorie philosophique de nos actes et de leur règle ; il est tout simple que la nature mixte de l’homme, cette complication de facultés intellectuelles, rationnelles, et de facultés instinctives et animales, cette vie de relation et cette puissance de s’élever par le relatif à la conception de l’absolu, jouent en logique et en morale des rôles analogues ; l’un étant, pour ainsi dire, la contre-épreuve de l’autre ou sa reproduction symétrique. Un développement de la connaissance auquel ne correspondrait pas un développement parallèle des facultés actives de l’homme, serait, autant que nous pouvons naturellement en juger, une anomalie, un désordre, un trouble dans le plan général de la création. Ainsi, lorsque à force de soins et d’artifices de culture, on a transformé en parure de luxe, en corolle resplendissante mais stérile, ces organes que la nature avait destinés à la propagation de la plante, la raison, malgré le charme des sens, n’y peut voir qu’une monstruosité au lieu d’un perfectionnement. Lorsque l’on considère l’homme tel que la société l’a fait, il ne faut plus s’attendre à trouver chez les individus cette juste proportion entre les connaissances et les actes, ce développement parallèle des facultés intellectuelles et des facultés actives ; la division du travail, la distribution des rôles entre les membres de la famille humaine ne le permettent pas ; et indépendamment des nécessités sociales, l’abus que l’homme peut faire de sa liberté suffirait pour troubler cet accord. C’est dans le corps social qu’il faut chercher et qu’on peut trouver, au moins approximativement, la corrélation, le parallélisme que la nature réalise d’une main plus sûre chez les individus, pour les espèces qu’elle n’a pas destinées à une vie sociale, nécessairement mêlée de progrès et d’abus.