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DISCOURS

toujours été & ſeront toujours obligés de puiſer leurs mots, il ne reſtera plus de doute ſur les autres portions de notre entrepriſe, qui n’en feront que des conſéquences.

L’Hiſtoire naturelle de la parole, trop peu connue parce que ſon objet n’excite aucune ſenſation, comme tous ceux auxquels on eft habitué, & parce qu’on ſupoſe ſans doute que le méchaniſme en eſt ſi ſimple, qu’il n’y auroit aucun mérite à l’analyſer, eſt cependant auſſi ſatisfaiſante qu’utile. C’eſt pour n’avoir pas connu les détails qu’elle offre, c’eſt pour avoir ignoré l’eſſence de ſes Élémens & leurs raports avec la Nature & avec l’homme lui-même, qu’on n’a pu découvrir l’origine du Langage, celle de ſes mots, & le raport des Langues ; que l’art étymologique a été une ſcience vaine & frivole, faſtidieuſe & ſans principes ; que l’étude des mots a toujours été livrée au hazard, toujours rebutante, toujours pénible ; qu’on n’a jamais vu leur raport avec les objets qu’ils étoient deſtinés à peindre ; & que jamais on n’a pu faire de la parole, un art ſemblable à ceux où l’on procéde d’une manière aſſurée, en s’élevant aux conſéquences les plus lumineuſes par les principes les plus ſimples. Cette Hiſtoire manquoit donc eſſentiellement à la Littérature, & c’eſt celle que nous entreprenons.

Le ſujet ne peut être plus beau. C’eſt la parole, cet Art par lequel nos connoiſſances ne ſont pas simplement bornées à celle des corps dont l’Univers eſt rempli, mais par lequel l’ame d’un homme ſe montre à découvert à celle d’un autre ; cet Art qui eſt la baſe de la lumière & de l’inſtruction ; l’ame de la ſociété ; ſans lequel l’Univers ne ſeroit qu’un vaſte déſert, qu’un aſſemblage d’Êtres muets, iſolés, incapables de perfection ; sans lequel il n’y auroit point de correspondance d’une Famille à une autre Famille, d’une Nation à une autre Nation, d’un ſiécle à un autre ſiécle :