Page:Couturat - Le principes des mathématiques, La Philosophie des mathématiques de Kant (1905) reprint 1980.djvu/276

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267] l’intuition » (B. 182). Ainsi, en tant que schème, le nombre est intermédiaire entre la sensibilité et l’entendement : il est à la fois intellectuel et intuitif. D’un côté, il est un produit de l’imagination ; mais d’un autre côté, il participe de la généralité du concept, et par là se distingue de l’image.

De cette conception il résulte que le nombre a un contenu intuitif, et qu’il implique essentiellement la succession. C’est l’intuition, en particulier l’intuition du temps, qui sert de fondement aux jugements arithmétiques, et qui seule explique leur nature synthétique. Mais d’abord il convient de faire des réserves sur la portée de cette théorie. Sans doute, s’il est établi par ailleurs que les jugements arithmétiques sont synthétiques, on pourra trouver l’explication de ce fait dans la nature intuitive du nombre, et même en tirer argument en faveur de celle-ci ; mais, en admettant que le nombre procède, au moins en partie, de l’intuition, peut-on en conclure que les jugements arithmétiques soient synthétiques ? Pas le moins du monde, et les discussions précédentes nous apprennent pourquoi. Nous avons vu en effet que le caractère synthétique des jugements ne dépend nullement de la nature des concepts, de leur origine ou de leur mode de formation ; et nous savons que, de l’aveu même de Kant, on peut porter des jugements analytiques sur des concepts empiriques comme ceux de corps ou d’or, qui sont le produit d’une synthèse intuitive. Peu importe que l’intuition sur laquelle repose cette synthèse soit empirique, tandis que le nombre repose sur une intuition a priori : cela ne change rien à la nature synthétique de tous ces concepts, et cela n’empêche pas du tout qu’ils puissent être l’objet de jugements analytiques fondés sur leur définition.

Nous pourrions nous contenter de ce non sequitur, et nous dispenser de discuter la théorie kantienne du nombre. Nous le ferons d’ailleurs très brièvement, car nous avons étudié ailleurs la même question avec plus de développement. Que le nombre enveloppe nécessairement la succession, c’est là une [268]