Page:Couturat - Le principes des mathématiques, La Philosophie des mathématiques de Kant (1905) reprint 1980.djvu/278

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269] plus certainement que le nombre, le produit d’une synthèse forcément successive, soit d’assises de pierre, soit de touches de pinceaux juxtaposées et superposées ; et pourtant, une fois terminés, ils ne conservent rien de la durée consacrée à leur élaboration. Un raisonnement purement logique « prend du temps » pour s’effectuer dans l’esprit ; il ne s’ensuit pas qu’il implique si peu que ce soit une synthèse intuitive et temporelle.

Dira-t-on que la synthèse intuitive qui constitue le nombre s’effectue dans l’espace, et non dans le temps, ou dans l’espace aussi bien que dans le temps ? Cette interprétation, quoique contraire à la théorie du schématisme, pourrait s’appuyer sur les passages précédemment cités de l’Introduction et des Prolégomènes, car dans ceux-ci le nombre est présenté comme un schème spatial, et non comme un schème temporel. Mais la thèse qui fait reposer le nombre sur l’intuition de l’espace n’est pas plus solide que celle qui le fonde sur l’intuition du temps : car, de même qu’on peut dénombrer des objets qui ne sont pas successifs ni même soumis au temps, on peut dénombrer des objets qui ne sont ni étendus ni même situés dans l’espace : des notions, par exemple, ou des propositions. D’ailleurs, on ne, ferait que reculer la difficulté, car l’espace lui-même, selon Kant, ne peut être perçu que dans le temps. Il soutient en effet que l’espace est une grandeur extensive, c’est-à-dire telle que la représentation du tout n’est possible que par la représentation préalable des parties (B. 203). Or les grandeurs extensives ne peuvent être appréhendées que par une synthèse successive de leurs parties (B. 204) ; et Kant répète plus loin la même assertion au sujet des grandeurs continues : la synthèse (de l’imagination productive) qui les engendre est un [270]