Page:Couturat - Le principes des mathématiques, La Philosophie des mathématiques de Kant (1905) reprint 1980.djvu/309

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mais sur des nécessités ou tout au moins des convenances rationnelles, de sorte que cette thèse donnerait raison bien plutôt à l’intellectualisme leibnizien qu’à l’ « intuitionisme » kantien.

Néanmoins, à côté de ces postulats d’un caractère intellectuel, il y en a au moins un, celui relatif au nombre des dimensions de notre espace, qui ne parait pas pouvoir s’expliquer de la même manière, ni avoir aucune raison d’être intelligible. Il semble bien que ce soit là un fait d’intuition inexplicable et irréductible, qui s’impose pratiquement à tous les hommes d’une manière irrésistible, soit qu’il provienne de la constitution subjective de notre sensibilité, soit qu’il traduise plus ou moins symboliquement une propriété objective du monde extérieur. Si donc il y a un postulat qui paraisse justifier la doctrine kantienne, c’est bien celui-là. Entre les deux théories que nous venons de citer, nous n’avons pas la prétention de décider. Mais peut-être la solution la plus probable du problème est-elle intermédiaire et mixte : certains postulats seraient d’origine intellectuelle, et certains autres d’origine intuitive. L’espace serait alors, non plus une simple forme de la sensibilité, mais une forme assez complexe organisée par des principes intellectuels avec des éléments d’ordre intuitif.

Quoi qu’il en soit, tandis que l’Arithmétique dément la théorie kantienne, c’est dans la Géométrie que cette théorie a le plus de chances de subsister. Ce résultat est contraire à l’opinion d’un grand nombre de mathématiciens, qui prétendent que l’invention des géométries non euclidiennes a réfuté la doctrine kantienne ; ces auteurs, apparemment peu familiers avec la pensée de Kant, croient que sa doctrine implique qu’il n’y ait qu’une Géométrie logiquement possible, ce qui est faux ; l’existence de plusieurs Géométries possibles est bien plutôt un argument en faveur de la thèse kantienne, que les jugements géométriques sont synthétiques et fondés sur l’intuition. [301]