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octave crémazie

ses vers la nuit, couché dans son lit. Le silence, la solitude, l’obscurité évoquaient chez lui l’inspiration : la nuit était sa muse. Souvent il ne prenait pas même la peine de confier ses poésies au papier ; il ne les écrivait qu’au moment de les livrer à l’impression. Elles étaient gravées dans sa mémoire mieux que sur des tablettes de marbre.

Obligé par nécessité de s’occuper d’affaires pour lesquelles il n’avait ni goût ni aptitude, il les expédiait d’une main distraite, s’en débarrassait avec une incurie et une imprévoyance qui finirent par creuser un abîme sous ses pieds. Il oubliait d’escompter un billet à la banque pour courir après une rime qui lui échappait. Quand il se réveilla de ce long rêve ; il était trop tard.

Au physique, rien n’était moins poétique que Crémazie : courtaud, large des épaules, la tête forte et chauve, la face ronde et animée, un collier de barbe qui lui courait d’une oreille à l’autre, des yeux petits, enfoncés et myopes, portant lunettes sur un nez court et droit, il faisait l’effet au premier abord d’un de ces bons bourgeois positifs et rangés dont il se moquait à cœur joie : « braves gens, disait-il,

Qui naissent marguilliers et meurent échevins, »


et qui ont « toutes les vertus d’une épitaphe. »

C’est ainsi qu’il les dépeignait lui-même dans la seconde partie de sa Promenade de trois morts, dont il