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octave crémazie

me citait, à Paris, quelques bribes qu’il gardait dans sa mémoire et qu’il n’a jamais écrites. Son sourire, le plus fin du monde, et les charmes de sa conversation faisaient perdre de vue la vulgarité de sa personne.

À part certains hommes d’affaires, nul ne soupçonnait le volcan sur lequel il marchait et qui allait éclater sous ses pas. Quelques mots amers qui lui échappaient ou qu’il plaçait en vigie dans la conversation, quelques sarcasmes inexplicables, qui paraissaient en singulière contradiction avec sa vie calme en apparence et insouciante, étaient les seuls indices des orages intérieurs qu’il subissait. On n’y faisait pas attention : la suite en fit comprendre le sens.

Son dernier poème, resté inachevé, la Promenade de trois morts, venait de paraître dans les Soirées canadiennes. Remarqué comme toutes ses compositions, ce poème avait pris ses admirateurs par surprise et révélait une nouvelle phase de son talent. Personne ne pouvait s’expliquer l’étrangeté de ce cauchemar poétique ; on n’en saisit que plus tard les analogies avec sa situation. La réalité était plus étrange que le rêve.

La stupeur fut universelle lorsqu’un matin on apprit qu’Octave Crémazie avait pris le chemin de l’exil : le barde canadien s’était tu pour toujours. Où était-il allé ? S’était-il réfugié aux États-Unis ? Allait-il traverser l’Océan pour venir vivre en France ? Pendant plus de dix ans, ce fut un mystère pour le public ; quelques intimes seulement étaient au fait de ses agissements et connaissaient le lieu de sa retraite.