Page:Crémazie - Œuvres complètes, 1882.djvu/166

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Qu’un jouet d’un instant dans les mains du malheur ?
Aviez-vous donc appris que l’existence avide,
Hélas ! ne pouvait pas combler l’immense vide
De ce gouffre sans fond que l’on nomme le cœur ?

Venus bien après vous dans cette sombre arène,
Où partout la douleur domine en souveraine,
Nous avons moins vécu, nous avons moins souffert.
Déjà l’illusion, à notre espoir ravie,
A fui loin de nos cœurs, et nous trouvons la vie
Plus aride que le désert.

Vous laissez parmi nous une trace durable.
Fidèle à vos amis, aux pauvres secourable,
Des plus nobles vertus vous suivîtes la loi.
Le ciel des plus beaux dons avait orné votre âme,
Dont vous saviez toujours entretenir la flamme
Aux éclairs du génie, aux rayons de la foi.

Votre esprit s’élevait à la hauteur sereine
Où planent tous les rois de la pensée humaine.
Et Dante, Bossuet, Goëthe, Chateaubriand,
Étaient la source vive où votre intelligence
S’enivrait chaque jour de force et de science,
Et goûtait les splendeurs de ce concert géant.

Esclave du devoir, votre parole ardente
Voulut user trop tôt sa sève fécondante ;
Comme un soldat debout qui meurt l’arme à la main,
Vous luttiez corps à corps avec la maladie.
Vous disiez, ranimant votre force affaiblie :
Aujourd’hui le travail et le repos demain !