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Page:Crépet - Les Poëtes français, t1, 1861.djvu/53

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PRÉLIMINAIRES.

texte, de tout manuscrit au XIe siècle, il faut seulement conclure que la littérature populaire fut à son principe très-rarement écrite, presque exclusivement orale. Ceux qui écrivaient alors écrivaient en latin. Mais bientôt lorsque les compositions colportées par les chanteurs ambulants acquirent, avec une étendue qui rendait plus difficile leur transmission par la mémoire, une faveur et une renommée croissantes qui attachèrent un plus grand intérêt à leur conservation, lorsque aussi des hommes instruits, animés du désir de se faire entendre de la foule, ne dédaignèrent plus d'employer le langage qui lui était seul familier, un peu du parchemin réservé jusque-là à la langue officielle et classique fut mis à la disposition de l'idiome vulgaire. Les jongleurs eurent leur mémorandum portatif qu'ils avaient soin de rédiger eux-mêmes. Les seigneurs, dont les chansons de geste célébraient les ancêtres, voulurent aussi posséder ces poëmes, et s'en firent faire de somptueuses copies. Nous voyons enfin apparaître ces chants dont l'existence, dont l'influence étaient depuis longtemps déjà indiquées et constatées par les historiens.. À cette première heure de notre littérature, nous avons sous les yeux une phase de la civilisation, un âge de l'esprit humain, qu'on n'est à même d'observer de près que depuis ces dernières années où le moyen âge est devenu l'objet des recherches les plus curieuses, les plus actives et les plus fécondes. La France en est alors au temps des aèdes et des rhapsodes de la Grèce antique ; mais tandis que la Grèce antique demeure enveloppée pour nous d'une obscurité à peu près impénétrable, le moyen âge, dont une partie des monuments subsiste encore, se révèle de jour en jour plus distinctement. Les poëmes populaires, avons-nous dit, étaient déclamés de vive voix, étaient chantés. Une classe d'hommes, qu'on nomma jongleurs (joculatores) puis trouvères et ménestrels, avait pour fonction et métier de réciter ces poëmes, de ville en ville, de château en château, dans les chambres seigneuriales et sur les places publiques. Ces jongleurs ou trouvères se transmettaient de l'un à l'autre, de génération en génération, les grandes données historiques et poétiques qui formaient comme le trésor commun ; ils se les transmettaient toujours les mêmes dans leur thème essentiel, toujours renouvelées dans leur forme et leurs détails. Chacun ajoutait aux œuvres qu'il avait reçues de ses prédécesseurs les embellissements, les amplifications que sa propre imagination lui inspirait ; chacun y introduisait les variantes qu'il savait devoir être applaudies, les épisodes qu'exigeaient les tendances nouvelles, les besoins nouveaux des intelligences.