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DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.

Certes, j’irais trop loin en prétendant que ce rimeur de ruelles, sans cesse occupé de chansonnettes, de balivernes et de jeux de société, ait joué le rôle d’un Brutus et d’un Lorenzaccio de la poésie, et cependant, en dépit de la chanson des Landriry et de la chanson des Lanturlu, quoiqu’il y ait d’un peu triste à relire aujourd’hui les Étrennes de quatre animaux envoyées par une dame à monsieur Esprit, ou la Plainte des consonnes qui n’ont pas l’honneur d’entrer au nom de Neuf-Germain, ne sentez-vous pas courir à travers ces billevesées le vent lointain de la tempèle lyrique ?

Sans invoquer ici le tour excellemment français des lettres, modèles d’atticisme et de grâce mondaine où s’est révélée, une fois au moins, après la reprise de Corbie, l’àme d’un historien et d’un politique, je n’ai besoin que de relire les vers enjoués et galants de Voiture pour être certain qu’il y eut en lui un philosophe qui se cachait ou qui s’ignora lui-même.

A-t-il réellement cru n’être en effet que ce railleur à l’eau de rose, né pour écrire les stances à la louange du sotdier d’une dame, ou celles sur une dame dont la jupe fut retroussée en versant dans un carrosse, à la campagne ? Ou bien, a-t-il à dessein fardé son esprit, guindé sa muse et abrité derrière un personnage bouffon le poëte qui chantait en lui ? Pour moi, j’incline a admettre ce déguisement auquel de plus grands que Voiture se sont tant de fois résignés, afin qu’on leur pardonnât l’inspiration et le génie. Apollon est toujours ici-bas exilé chez Adniète ; et s’il trahit sa noble origine, c’est seulement lorsqu’un rayon de soleil vient s’embraser à l’or de sa chevelure. Or, cet éclair de jour et de flamme qui signale le dieu, vingt fois, je l’aperçois chez Voiture au moment même où il semble le plus décidément courbé vers la terre. Lorsqu’il s’écrie en commençant quelque sonnet d’amour :

Des portes du malin l’amante de Cépliale,

Ou bien :

Sous un habit de fleurs, la Nymphe que j’adore.

Rien qu’au mouvement, à l’allure héroïque de ce grand vers, je reconnais le poëte lyrique, réduit à se dérober sous le travestissement d’un inventeur de madrigaux et d’un diseur de riens. Chose étrange ! à force de raffiner et d’outrer l’élégance, il arrive à la pompe, tandis que tant d’autres, en employant les mêmes moyens, tomberaient, dans un fatras inintelligible et ridicule. Il n’a peut-être rêvé qu’un Olympe de comédie et de ballet, et parfois ses vers laissent entrevoir un radieux