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SOUVENIRS DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

de génie, et voici mon opinion sur ce chef-d’œuvre. Le plan mal conçu, mal combiné, mal exécuté, me sembla difforme et d’une obscurité fatigante ; la versification de cette pièce me parut plate et barbare. Le style de M. Dubelloy le boursoufflé serait, à mon avis, moins incorrect et moins ignoble que celui de M. de Guibert, et celui du vieux Crébillon n’est certainement pas plus rocailleux. Ajoutons que cette pièce était d’une longueur assommante, car elle ne dura pas moins de trois heures et demie ; mais l’ennui que j’en éprouvais était dominé par l’impatience et l’irritation de voir retracer sur le théâtre de Versailles, en présence de nos Princes, et devant les Ambassadeurs étrangers (à l’occasion d’un événement auguste), un épisode aussi fâcheux de notre histoire ; c’est-à-dire une suite de faits injurieux au nom de Bourbon, par le spectacle continuel d’un traître, et par un enchaînement de circonstances où les bons Français étaient représentés comme ayant été vaincus, humiliés et dégradés, suivant l’expression de l’auteur.

Le Roi s’aperçut trop tard de l’inconvenance et de l’inconvénient qu’il y aurait à laisser jouer cette mauvaise pièce. Il annonça hautement qu’il avait été trompé par le rapport du premier gentilhomme de sa chambre, et qu’il ne souffrirait pas que cette tragédie reparût sur aucun théâtre. Ce premier gentilhomme était le Duc d’Aumont, qui n’était guère en état de juger d’une tragédie, et qui se laissait diriger en ceci par la Duchesse de Villeroy, sa fille écervelée. Vingt ans avant la même époque, il aurait eu grand soin de soumettre une pièce qu’il était