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SOUVENIRS

philosophe perçait tous les replis de tous ces cœurs dont la surface est si calme, il en frémirait et voudrait peut-être y replacer lui-même la pensée de Dieu qu’on s’efforce aujourd’hui d’en arracher. Dans les conditions obscures, surtout parmi cette foule d’indigens pour qui la Providence semble n’avoir balancé le malheur de naître que par le bonheur de mourir, si vous détruisez la pensée de Dieu, quel adoucissement restera-t-il à des privations douloureuses, à des peines cuisantes ? Est-ce donc un si grand bienfait que d’ajouter au tourment de vivre pour souffrir, la certitude de n’avoir rien à espérer après la mort ?

« C’est pour cette portion d’hommes que nous invoquons votre pitié ; laissez-nous les malheureux ; vous n’avez d’autre présent à leur faire que le triste problème de je ne sais quel sombre avenir. Quelle attente pour de pauvres captifs, accablés sous le poids de leurs chaînes ! Nous, du moins, nous soulevons ces chaînes et nous en partageons le poids, nous le supportons avec eux ; voilà notre plus grand avantage sur vous, et c’est à cet titre que je ne crains point de réclamer ici, je ne dirai pas seulement votre justice, mais votre compassion, votre humanité, votre pitié miséricordieuse !


On a dit et souvent répété, que les dévots avaient laissé le poète Gilbert mourir de faim, tandis que le Roi, les Princes et les ministres n’accordaient jamais aucune espèce de récompense ou d’encouragement aux écrivains qui militaient contre le philosophisme. C’est encore une injustice, et je connais plusieurs de ces écrivains qui manquent de mémoire ou de véracité[1]. Le prétendu scandale occasionné

  1. Nicolas Gilbert, mort à Paris, en 1780, âgé de 29 ans.