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SOUVENIRS

pour lui comme aussi pour ses hoirs ; le tout en vertu de la charge qu’il exerçait ; et vous en conclurez, s’il vous plaît, que l’Office de Premier Médecin du Roi de France est la principale dignité de l’univers médical.

Le vieux Sénac était presque toujours silencieux et sombre comme un tombeau. Il était savant, mais il ne croyait guère à l’utilité de la médecine, et l’exercice de sa profession n’était pour lui qu’un moyen de fortune, avec le plaisir d’expérimenter et celui d’ajouter à son instruction. J’ai connu bon nombre de médecins pareils à lui, mais à la science près.

Je me rappelle que, lorsqu’il parvint à la charge de premier médecin, il se fit remplacer au Palais-Royal par un docteur de Montpellier nommé Fizes, qui était un bavard et fut disgracié par le Duc d’Orléans au bout d’un mois. — « Je lui avais prescrit, nous disait Sénac, d’approcher gravement de son malade, de tâter le pouls, de faire tirer la langue et de regarder sérieusement dans les bassins, de ne point parler, de s’enfoncer dans sa perruque et d’y rester un moment les yeux fermés, de prononcer son arrêt et de s’en aller sans penser à faire la révérence. Au lieu de cela, mon imbécile a jabotté comme une pie ; il a parlé politique et littérature, en disant Votre Altesse Sérénissime à tout bout de champ. Il n’a que ce qu’il mérite ; et voilà ce qui doit arriver à ceux qui n’écoutent pas leurs anciens ! »

Quant à l’examen des empiriques et la surveillance des charlatans, dont il avait le monopole en