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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

vertu de sa charge, il abandonnait l’administration de cette partie du casuel à Mme Sénac, à qui tous les marchands d’onguent céleste et d’eau merveilleuse allaient s’adresser pour obtenir un brevet de son mari, moyennant rétribution. Elle en retirait parfois plus de quatre-vingt mille livres par an. Elle était associée pour moitié dans l’entreprise de la fameuse poudre capitale des frères Aumer, et l’on disait que la belle terre de Meillan avait été payée sur le profit que les Sénac ont tiré de cette poudre infernale.

L’unique héritier de ce bon ménage est M. de Meillan, qui se pavane aujourd’hui dans son intendance avec tant de fatuité. C’est à lui qu’on prenait la liberté d’appliquer cette vilaine épigramme de Piron : « il était blême et blond comme un pou d’hôpital ; » ce que je n’ai pu vérifier qu’à moitié, bien entendu.

Je vous dirai cette aventure de l’Abbé d’Espagnac avec M. l’intendant, qui tenait la banque au pharaon, chez M. Girardin, d’Ermenonville, et qui, voyant l’Abbé s’avancer avec un écu, lui cria du haut de sa tête et de sa voix insolente et grêle : — Monsieur, je ne tiens que de l’or. Voilà ce grippe-sou d’Abbé qui s’approche de lui, tenant son écu pincé du pouce et de l’index, et qui va lui faire une croix sur le front, en lui disant comme au jour des cendres : — Memento, homo, quia pulvis es, etc., « souviens-toi que tu es un homme de poudre et que tu reviendras en poudre ! » Je vous reparlerai de M. Sénac de Meillan, qui faisait les délices et l’admiration de l’hôtel de Liancourt.