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SOUVENIRS

« Marquis, votre courageuse mère est dans son lit pour se dorloter, parce qu’elle a tout le bras droit tyrannisé par une douleur de rhumatisme et que sa main droite en est enflée. Elle se désespère de l’inquiétude qu’elle vous suppose, et je vais la remplacer pour vous tranquilliser tous les deux, je ne vous promets pas de m’en tirer aussi bien qu’elle ; mais j’y mettrai toute l’attention dont je suis capable, et j’entre en matière. La Marquise était allée mardi matin, chez un Juif appelé Kaiffer, et qui demeure, à ce qu’elle veut que je vous dise, rue Saint-Denis, au numéro 495 ; on l’avait exigé d’elle, et c’était pour y conférer sur votre affaire, attendu que cet israélite est un des deux cents citoyens désignés par le syndic général pour juger tout le monde, en exécution de l’art. vi du titre xi de la iie série de la loi du 29 septembre dernier. C’est elle qui me le dicte et qui sait toutes ces belles choses par cœur. Elle avait fait antichambre dans la cour du juif et tout à côté d’un évier de cuisine, avec les pieds sur un pavé qui n’était ni sec ni propre première cause de son indisposition. Il paraît que cet honnête juré, comme on les appelle, est imbu d’une grande défiance et d’un souverain mépris pour tous les Nobles ; aussi la Marquise a-t-elle eu grand soin de lui faire observer que malgré que vous mangeassiez assez souvent du lapin, du lièvre, du lard et de l’anguille, ainsi que des côtelettes de mouton et autres chairs qui avoisinent les entrailles des animaux, et quoique vous ne profitassiez jamais, ni elle non plus, de la licence que prennent certaines gens, par une fausse interprétation du Lévitique,