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SOUVENIRS

veu. Au reste, on n’a jamais à risquer de rencontrer celle-ci chez la Comtesse, attendu qu’elles ne sont pas en relation plus intime et plus suivie qu’avant la révolution. Elle avait à dîner ce jour-là Madame et Mesdemoiselles de Rohan la Duchesse de Villeroy, ma bonne et sainte amie la Csse d’Hautefort, et je ne sais combien d’Altesses étrangères. Les hommes que je vis arriver chez elle avant mon départ étaient le Prince Ferdinand, le Prince Camille, MM. de Roquelaure, de Boufflers, Delille, de Pougens, de Laval, de Cossé-Brissac, et le surplus des convives était composé de plusieurs jeunes gens qui me parurent avoir de la politesse et de la distinction dans l’esprit.

— Et le Chevalier de Cubières-Palmezeaux ? lui dis-je à l’oreille on m’a dit qu’il était insupportablement ennuyeux, et que vous devriez avoir ta complaisance de fermer votre porte à ce poète crotté.

— Vous pouvez ajouter indécrottable, me répondit-elle à voix basse, mais écoutez ce que je dois vous en dire : Il m’a sauvé la vie en 93, il a vendu son dernier contrat de rente pour acheter et payer ma mise en liberté ; il n’a jamais voulu souffrir que je le rembourse, et comme il est resté sans aucune ressource, je lui donne une chambre ; il mange ici quand il en a la volonté, et quand il est en fantaisie d’aller dîner ailleurs que chez moi, je ne m’en plains pas mais je ne l’en chasserai jamais, comme vous pouvez croire ? Voilà toute mon histoire avec M. Dorat-Cubières, à moins d’ajouter charitablement pour nous deux, qu’il a soixante et dix ans