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ACHILLE 241

ment à Agamemnon son injustice et lui promet pourtant un dédommagement. Mais quand le roi le menace personnellement, alors sa colère éclate sous l'injure. Cette colère est toute faite d'un orgueil juvénile auquel se joint naïvement le souci des pro- fits perdus, curieux indice de la race et du temps; elle est Texpression spontanée du caractère, toute colorée du feu de la passion :

Ah ! chef impudent, trop habile chercheur de profits, quel Achëen désormais voudrait se prêter à tes désirs, et sur ton ordre se mettre en route ou engager le combat ? Quant à moi, ce n'est pas en haine des guerriers troyens que je suis venu ici livrer bataille, car ils n'ont rien fait dont j'aie à me plaindre. Jamais ils n'ont chassé mes bœufs, jamais ravi mes chevaux, jamais ils ne sont venus dans le pays fertile de Phthie dévaster mes champs ; entre eux et moi, il y a trop de montagnes cou- ronnées de forêts, il y a la mer mugissante. C'est donc pour toi, homme effronté, oui, c'est pour toi que nous sommes ici, afin de te donner satisfaction ; c'est la vengeance de Ménélas, c'est la tienne, impudent, que nous réclamons des Troyens. Et voilà de quoi tu n'as ni pensée ni souci ! Il faut que tu me menaces de m'enlever toi-même une récompense pour laquelle j'ai pris tant de peine et que m'ont donnée les (ils des Achéens ! Jamais nos parts ne sont égales, lorsque les nôtres détruisent quelque ville opulente de la Troade. Les plus rudes tâches de la guerre tumultueuse, c'est mon bras qui les accomplit ; mais quand vient le partage, à toi la plus large récompense, à moi un faible salaire, auquel je tiens pourtant ; c'est ce que je remporte dans mes vaisseaux après les fatigues de la guerre. Eh bien donc, je m'en irai à Phthie, car il vaut bien mieux m'en retourner chez moi avec me -^vais- seaux recourbés ; et je n'ai pas l'intention de rester ici sans honneur pour t'amasser à toi richesses et profits*. »

L'injure d'Agamemnon pénètre comme un trait dans cette âme irascible, et elle y reste fixée. Rien

��1. Iliade, I, 149.

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