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LA RACE GRECQUE ET SON GÉNIE

Nous égarerions nos lecteurs dans des discussions prolongées, ou nous les entraînerions dans de pures hypothèses. Ils en tireraient peu de profit pour l’intelligence du sujet que nous abordons avec eux.

Ajournons donc ces espérances, et contentons-nous d’exposer brièvement ce qui est certain. De quelque manière que le génie grec se soit formé, nous savons qu’il l’était avant la naissance de l’Iliade. Essayons de nous le représenter ici dans ce qu’il a de plus essentiel et par conséquent de plus primitif, en laissant de côté les traits secondaires qui ne se sont révélés en lui qu’en certains temps et par l’effet de circonstances particulières.

Ce qui frappe tout d’abord dans la race hellénique, c’est la variété de ses aptitudes. Le vieux romain Juvénal relevait avec amertume, par la bouche d’Umbricius, la souplesse des Grecs de la décadence qui envahissaient Rome et s’y trouvaient bons pour tous les métiers[1]. Sans prendre trop au sérieux cette boutade d’un poète satirique en colère, on ne peut nier qu’elle ne contienne une part de vérité. Ce que le Romain tournait en ridicule, Thucydide, si sérieux observateur, l’admirait chez les Athéniens de son temps[2] ; et les Athéniens, en cela comme en beaucoup d’autres choses, étaient les plus grecs de tous les Grecs. Aristote à son tour remarquait qu’en général les peuples européens, habitant des pays froids, avaient de l’énergie, mais peu de vivacité d’esprit ;

  1. Juvén., Sat., III, 73 sqq.

    Ingenium velox, audacia perdita, sermo
    Promptus et Isæo torrentior. Ede quid illum
    Esse putes ; quemvis hominem secum adtulit ad nos :
    Grammaticus, rhetor, geometres, pictor, aliptes,
    Augur, schœnobates, medicus, magus : omnia novit
    Græculus esuriens ; in cælum, jusseris, ibit
    .

  2. Thucyd., II, 41, 1.