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LA LANGUE GRECQUE

n’ont accepté du dehors une forme littéraire toute faite. Différence profonde entre leur littérature et celle des Romains par exemple. Chez ces derniers, l’épopée, la tragédie, la comédie, l’élégie, la poésie lyrique, l’art oratoire lui-même, en un mot tous les genres littéraires sont arrivés de Grèce déjà organisés, déjà pourvus de traditions et soumis à des règles. Il a fallu que le génie national s’accommodât de ces formes étrangères, et c’est dans l’imitation qu’il est arrivé peu à peu à se retrouver lui-même. Il en a été ainsi de presque toutes les littératures modernes, dans leur période de renaissance du moins. Au contraire, les Grecs n’ont jamais trouvé devant eux un genre littéraire tout constitué. Que leurs idées fussent spontanées ou qu’elles leur vinssent du dehors, ils les ont groupées à leur manière, et leurs œuvres ont toutes été créées en pleine liberté, d’après un sentiment purement hellénique.

Dans ces conditions, la formation de ce qu’on nomme en littérature les genres offre un intérêt tout particulier. Quand les Grecs ont fait pour la première fois des poèmes épiques, des odes, des tragédies, ils n’avaient sous les yeux aucun exemple de tragédie, d’ode, ni d’épopée. Rien, par conséquent, ne gênait leur fantaisie. Ils auraient pu inventer à la fois vingt sortes d’épopées, construire des quantités d’odes de formes différentes, enfanter des drames où le caprice individuel se serait donné libre carrière. De telles œuvres sans doute se seraient encore réparties en groupes d’après quelques grandes ressemblances fondamentales que l’esprit humain ne peut éluder ; mais elles n’auraient pas donné naissance à des genres proprement dits. La notion même de genre littéraire sup-