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LA REVUE DE PARIS

nous inondaient à chaque pas, toujours accompagnées d’acclamations, de cris, de battements de mains et d’agitations frénétiques. Toutes les cloches étaient en branle et les musiques de la ville, qui nous conduisaient à notre campement, entonnaient la Marseillaise française et la Marseillaise italienne, coupées parfois par l’air de la reine Hortense. J’ai lu des contes des Mille et une nuits, des scènes de la mythologie grecque, des contes de fées, et j’ai vu jouer de grandes féeries sur le théâtre ; mais tout cela n’était que des enfantillages auprès de la scène grandiose et de l’enthousiasme indescriptible que nous offrait ce jour-là la belle ville de Livourne. Il faut avoir assisté à de semblables élans d’enthousiasme et d’exaltation patriotique, pour comprendre ce qu’est un peuple dans les fers et qui a soif de liberté.

Le lendemain matin, nous quittâmes Livourne en chemin de fer. Nous étions debout et sac au dos, dans des wagons découverts. Le trajet, du reste, ne devait pas durer longtemps, car le train ne nous conduisait que jusqu’à Pise, à environ vingt kilomètres seulement de Livourne. La gaieté régnait dans les trains ; nous avions bien bu et bien mangé la veille et le matin avant de partir ; nos casquettes et nos boutonnières étaient pleines de fleurs, nos poches pleines de cigares, et chacun se flattait d’avoir embrassé la plus belle fille de Livourne. En débarquant à Pise, les mêmes scènes recommencèrent ; les cloches étaient depuis longtemps en branle; la musique nous attendait à la gare. À l’arrêt du train, elle entonne la Marseillaise, puis se met à notre tête pour nous faire traverser la ville, sur un tapis de fleurs et sous un déluge de couronnes, de bouquets et de fleurs effeuillées. Les acclamations, les cris, les trépignements des jeunes filles, toujours aux premiers rangs avec des corbeilles de fleurs et de cigares, les agitations de chapeaux et de mouchoirs, c’étaient les mêmes scènes de transport et d’élans frénétiques qu’à Livourne.

Nous ne nous arrêtâmes pas à Pise. Nous devions aller, ce jour-là, coucher à Pistoia. En sortant de Pise, on remarque au bord de la route la fameuse colonne penchée, considérée comme une des merveilles du monde : elle n’a cependant rien de merveilleux que sa forme colossale et sa position inclinée qui ferait croire aux ignorants qu’elle va tomber, quoiqu’elle