Page:Démosthène - Œuvres complètes, Stiévenart, 1870.djvu/385

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hommes d’Athènes ! ce qu’il attaque dans le décret ; voilà aussi par où j’espère, avant tout, établir clairement la régularité de toute mon apologie. Car je suivrai le même ordre que l’accusateur ; chaque point sera discuté successivement, sans omission volontaire. [57] Le décret énonce que je ne cesse de bien servir le Peuple par mes actes, par mes paroles ; il loue mon empressement à lui procurer tous les avantages qui sont en ma puissance : ici, la solution est dans ma vie publique. Scrutez-la, et vous reconnaîtrez, dans les allégations de Ctésiphon, convenance et vérité, ou imposture. [58] Que si, sans ajouter, après la reddition des comptes, il veut que l’on me couronne, et que cet honneur soit proclamé sur le théâtre, ma conduite politique doit pareillement décider si je mérite, ou non, la couronne et la proclamation. Je crois devoir, de plus, citer les lois qui autorisent le décret de Ctésiphon. Tel est, ô Athéniens ! le plan de ma simple et régulière défense. J’aborde les actes de mon administration. [59] Et ne croyez point que je m’écarte de l’objet de la plainte, en me jetant sur ce que j’ai fait et dit pour la Grèce. S’inscrire en faux contre le décret qui reconnaît un but patriotique à mes actions, à mes paroles, c’est lier à la cause, c’est m’imposer le récit de mon ministère tout entier. D’ailleurs, entre les diverses parties du gouvernement, j’ai choisi les affaires générales de la Grèce : voilà donc où je dois puiser mes preuves.

[60] Laissons les usurpations faites et maintenues par Philippe, avant que je parusse à la tribune et dans le ministère (31) : là, je pense, rien ne me concerne. Quant aux entraves qui lui furent imposées depuis cette époque, je les rappellerai, j’en rendrai compte, après quelques réflexions préalables.

Un grand avantage, ô Athéniens ! était donné à Philippe : [61] chez tous les Hellènes indistinctement pullulaient des traîtres, âpres à la curée, ennemis des Dieux, multitude qui n’eut point d’égale dans les souvenirs du passé. Voilà les auxiliaires, les travailleurs que prend Philippe. Les Hellènes s’étaient précipités dans la discorde : il les y plonge plus avant, ici par le mensonge, là (32) par des largesses, ailleurs par tous les moyens de corruption ; et il divise en cent factions des peuples qui tous avaient un seul intérêt, l’empêcher de s’agrandir. [62] Dans une telle situation, dans l’ignorance où étaient tous les Hellènes d’un mal qui allait croissant, examinez, hommes d’Athènes ! ce que devait entreprendre et faire la République ; et demandez-m’en raison : car celui qui dans le gouvernement s’était mis à ce poste (33), c’est moi.

[63] Athènes devait-elle, ô Eschine ! abjurant sa ferté, sa grandeur, se mêler à des Thessaliens, à des Dolopes (34), pour conquérir à Philippe l’empire de la Grèce, pour détruire la gloire et les droits de nos ancêtres ? ou, sans commettre cette évidente infamie, fallait-il qu’en face de malheurs pressentis depuis longtemps, et inévitables à ses yeux si nul ne les arrêtait, elle jetât autour d’elle un regard d’indifférence ? [64] Oui, c’est à mon rigide censeur que je me plais à le demander : quel parti voudrait-il qu’eût embrassé la République (35) ? le parti qui conjura la ruine et le déshonneur de la Grèce, et où l’on peut compter la Thessalie et ses adhérents ? celui qui laissa tout faire, espérant en profiter, et dans lequel nous placerons l’Arcadie, Argos et Messène ? [65] Mais la plupart de ces peuples, disons mieux, tous ont plus souffert que nous. Quand même Philippe vainqueur s’en serait retourné aussitôt, cessant les hostilités, n’insultant aucun de ses alliés, aucun des autres Hellènes, il y aurait encore, contre ceux qui ne se seraient pas opposés à ses entreprises, quelque reproche, quelque blâme. Mais, s’il enlevait à tous également dignité, puissance, liberté, démocratie surtout, là où il le pouvait, n’avez-vous pas pris les résolutions les plus honorables, en suivant mes conseils ?

[66] Encore une fois, Eschine, que devait faire la République, en voyant Philippe se frayer la voie à la souveraineté de la Grèce ? Quelles paroles, quels décrets devais-je présenter, moi conseiller, et surtout conseiller d’Athènes ? moi intimement persuadé que de tout temps, jusqu’au jour où je montai à la tribune, ma patrie avait lutté pour la prééminence, l’honneur, la gloire, et, par une noble ambition, dépensé dans l’intérêt du reste de la Grèce plus d’hommes et plus d’argent que toute la Grèce ensemble pour sa propre cause ? [68] moi, qui voyais ce Philippe, notre antagoniste, dans l’ardeur de dominer, privé d’un œil, la clavicule rompue, la main, la jambe estropiées, jeter gaiement à la fortune tout ce qu’elle voudrait de son corps, pourvu qu’avec le reste il vécût glorieux (36) ? Toutefois, qui oserait dire qu’un barbare, nourri dans Pella, bourgade alors chétive et inconnue, dût avoir l’âme assez haute pour aspirer à l’empire de la Grèce, pour en concevoir la pensée ; et que vous, Athéniens, vous, à qui chaque jour la tribune et le théâtre offrent des souvenirs de la vertu de vos pères, vous pussiez être pusillanimes au point de courir livrer à un Philippe la Grèce enchaînée ? [69] Non, un tel langage n’est pas possible. Restait donc forcément à opposer votre juste résistance à toutes ses injustes entreprises. Vous le fîtes dès le principe, par raison, par honneur ; et tels furent mes décrets, mes conseils tant que 378 je