Page:Démosthène - Œuvres complètes, Stiévenart, 1870.djvu/392

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84 pas connu le banni Antiphon ? Il promit à Philippe de brûler vos arsenaux maritimes, et s’introduisit dans Athènes. Je le saisis caché au Pirée, et l’amenai dans l’assemblée. Eschine, dans sa haine jalouse, mugit, vociféra. J’exerçais des violences chez un Peuple souverain ; j’outrageais des infortunés, des citoyens ; sans décret, je violais l’asile domestique ! Il fit tant qu’on le relâcha. [133] Et, si l’Aréopage, instruit du fait et de votre malencontreuse erreur, n’eût cherché, ressaisi, ramené cet homme devant vous, un grand criminel vous échappait, esquivait le châtiment, était renvoyé, grâce à ce déclamateur. Mais il subit la question, et vous le fîtes périr : autant en était dû à celui-ci.

[134] Témoin de cette conduite d’Eschine, et voyant qu’avec ce même aveuglement qui a souvent sacrifié le bien public, vous l’aviez élu pour défendre vos droits sur le temple de Délos (77), l’Aréopage, à qui vous soumîtes votre choix, rejeta, sans hésiter, Eschine comme un traître, et confia cette mission à Hypéride. C’est sur l’autel qu’on prit les suffrages (78), et pas un ne fut donné à ce misérable. [135] Qu’on appelle les témoins.

Témoignages.

Au nom de tout l’Aréopage, nous, Caillas de Sunium, Zénon de Phlyes, Cléon de Phalère, Démonique de Marathon, attestons pour Démosthène que, le Peuple ayant choisi Eschine pour soutenir ses droits devant les Amphictyons au sujet du temple de Délos, l’Aréopage assemblé jugea Hypéride plus digne de parler pour la République, et qu’Hypéride fut envoyé.

[136] Ainsi, en rejetant cet homme qui devait parler, en le remplaçant par un autre, le Conseil suprême l’a déclaré traître et votre ennemi. Voilà un des traits de ce politique audacieux : ressemble-t-il à ceux dont il m’accuse ? En voici un autre. Quand Philippe envoya Python le Byzantin, et avec lui les députés de tous ses alliés, pour diffamer Athènes, et la montrer coupable, je ne cédai point à Python, qui roulait contre nous les flots d’une éloquence furieuse ; je tins ferme, je me levai, je le combattis, je soutins les droits de la République ; je répandis sur les injustices de Philippe une si vive lumière, que ses alliés eux-mêmes se levèrent et en convinrent. Auxiliaire de l’ennemi, ce malheureux déposait contre sa patrie, contre la vérité. [137] C’était trop peu : quelque temps après, on le surprit entrant chez Thrason avec l’espion Anaxinos. Or, conférer tète à tête avec l’émissaire des ennemis, c’est être soi-même un espion et l’ennemi de sa patrie. — J’ai dit vrai : appelle-moi les témoins.

Témoignages.

Mélédème, fils de Cléon, Hypéride, fils de Callaeschros, Nicomaque, fils de Diophante, attestent pour Démosthène, et ont juré entre les mains des stratèges, avoir vu Eschine, fils d’Atromète, de Cothoce, entrer la nuit chez Thrason, et conférer avec Anaxinos, déclaré juridiquement espion de Philippe.

Ainsi attesté sous Nicias (81), le 3e jour d’Hécatombaeon.

[138] J’ai mille autres traits à citer ; je les supprime : aussi bien qu’arrive-t-il ? j’aurais beau montrer, par une foule de preuves nouvelles, Eschine convaincu de servir alors l’ennemi, convaincu de me persécuter ; pour tout cela votre mémoire est paresseuse, votre courroux indulgent. Par une funeste habitude, vous permettez au premier venu de supplanter, de dénigrer vos défenseurs. Contre le plaisir si doux d’entendre des invectives, vous troquez les intérêts de la patrie. Aussi est-il toujours plus facile et plus sûr de vendre ses services à vos ennemis, que de choisir son poste près de vous.

[139] Avant la guerre déclarée, conspirer avec Philippe, c’était un crime, ô Terre ! ô Dieux ! un crime contre la patrie. Cependant passez-lui cela, si vous voulez. Mais, lorsque nos vaisseaux étaient enlevés à force ouverte, la Chersonèse dévastée ; lorsque l’homme marchait contre l’Attique (82), et que ses projets n’étaient plus douteux ; lorsque la guerre était allumée, qu’a-t-il fait pour vous, cet envieux, cet avaleur d’ïambes (83) ? Il ne peut rien montrer. Pas un seul décret d’utilité publique, petit ou grand, qui porte le nom d’Eschine ! S’il en a, qu’il le produise à l’instant, je lui cède la parole ; mais non, il n’en a point. Cependant, de deux choses l’une : ou, ne trouvant alors rien à reprendre dans ce que je faisais, il ne put proposer autre chose ; ou, favorisant votre ennemi, il ne vous a pas apporté des conseils plus avantageux. [140] Mais, quand il s’agissait de vous nuire, n’avait-il ni paroles ni décrets ? Il n’y avait que pour lui à parler !

La République pouvait encore, ce semble, supporter ses sourdes perfidies : mais, ô Athéniens ! il a commis un crime qui a comblé la mesure. Il a fait, à ce sujet, de grands frais de paroles, dissertant sur les décrets des Ampbissiens, pour torturer la vérité. Mais il n’en sera rien, il n’en peut être ainsi. Loin de là, jamais tu ne te laveras de ce forfait ; ta faconde n’y suffirait pas. [141] J’invoque devant vous, hommes d’Athènes ! tous les Dieux et toutes les Déesses tutélaires de l’Attique, surtout Apollon Pythien, père de cette ville (84) : si je vous dis la vérité, si je l’ai dite au Peuple dès que je vis le misérable toucher à cette affaire (et je l’ai vu, je l’ai vu aussitôt), puissent-ils m’accorder le salut, le bonheur ! mais si, par haine, par animosité personnelle, 385 je