Page:Démosthène - Œuvres complètes, Stiévenart, 1870.djvu/400

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de 392 ma patrie, qu’elle me semblait réclamer tous mes instants, faire taire toute sollicitude personnelle, heureuse qu’un citoyen portât tout le poids des affaires. [221] Or, j’avais de moi cette opinion, peut-être à tort, mais enfin je l’avais, que, pour les décrets, pour leur exécution, pour les ambassades, nul n’agirait avec plus de sagesse., de zèle, d’intégrité que moi. C’est pourquoi je me plaçai à tous les postes. Lis les lettres de Philippe.

Lettres.

[222] Voilà, Eschine ; jusqu’où ma politique a rabaissé Philippe ; tel est le langage auquel j’ai fait descendre celui qui avait lancé contre la République tant de menaces hautaines. Aussi, je fus justement couronné par ces citoyens ; et toi, qui étais présent, tu ne t’y opposas point. Diondas m’accusa, mais n’obtint pas le cinquième des suffrages.

— Lis les décrets qui ne furent ni condamnés par les juges, ni attaqués par Eschine.

Décrets.

[223] Ces décrets, hommes d’Athènes ! sont conçus dans les mêmes termes qu’autrefois celui d’Aristonique, et qu’aujourd’hui celui de Ctésiphon : or, loin de les attaquer de son chef, Eschine n’a pas même secondé l’accusateur. Cependant, si ses imputations actuelles étaient fondées, il pouvait poursuivre Démomèle et Hypéride, auteurs des décrets, avec plus d’apparence de justice qu’il ne poursuit maintenant Ctésiphon. [224] Pourquoi ? parce que Ctésiphon peut s’appuyer et de leur exemple, et des arrêts des tribunaux, et du silence d’Eschine lui-même sur plusieurs décrets parfaitement conformes au sien, et des lois qui ne permettent pas de remettre en question la chose jugée, et de bien d’autres raisons. Alors, au contraire, on eût examiné la cause en elle-même, sans aucun de ces préjugés. [225] Mais, alors aussi, l’accusateur n’aurait pu, comme aujourd’hui fouiller dans de vieilles annales, dans un amas de décrets, exhumer ce que personne ne s’attendait à voir reparaître ; calomnier à l’aise, confondre l’ordre des temps, aux vrais motifs en substituer de faux, enfin jouer l’éloquence. [226] Non, ces secours alors n’existaient pas. En face de la vérité, devant les faits encore présents à votre mémoire et comme sous votre main, il eût fallu tout dire. Aussi a-t-il fui les preuves qui jaillissent des faits récents ; et c’est bien tard, c’est aujourd’hui qu’il entre en lice, s’imaginant sans doute que ce serait ici un combat d’orateur, et non une recherche sévère sur notre administration ; un jugement sur des périodes, et non sur les intérêts de la patrie !

[227] Subtil sophiste, à l’entendre, vous devez déposer l’opinion que vous apportez ici sur nous deux. « Persuadés, dit-il, qu’un comptable est en reste, vous examinez ses comptes ; mais, s’ils sont trouvés justes, si rien n’est dû, vous lui donnez décharge : de même ici, rendez-vous à l’évidence des preuves. »

Voyez comme, par un juste retour, l’œuvre de l’iniquité se brise elle-même. [228] Par cette adroite comparaison il avoue que vous me reconnaissez pour l’orateur de la patrie, et lui pour l’orateur de Philippe. S’il ne savait que telle est votre pensée sur chacun de nous, il ne s’efforcerait point de la danger ; [229] prétention injuste, comme je le prouverai aisément, non avec des jetons, ce n’est pas ainsi que l’on rend compte des affaires, mais par le court exposé de chaque fait. Vous serez à la fois mes témoins et mes juges.

Voici ce qu’a produit cette politique qu’il a tant décriée. Les Thébains, suivant l’attente générale, allaient fondre sur notre pays avec Philippe : je les ai joints à nous pour l’arrêter.

[230] La guerre arrivait sur notre territoire : je l’en ai rejetée à 700 stades, sur les terres des Béotiens. Au lieu d’être pillée et saccagée par les pirates de l’Eubée, l’Attique, du côté de la mer, a joui de la paix durant toutes les hostilités. Au lieu d’envahir l’Hellespont en prenant Byzance, Philippe eut deux ennemis sur les bras, Byzantins et Athéniens. [231] Eh bien ! Eschine, cette énumération n’est-elle à tes yeux qu’une combinaison de chiffres ? Faut-il éliminer les faits par compensation (118) ? Ne faut-il pas plutôt travailler à en perpétuer le souvenir ? Et je n’ajoute pas que les autres peuples éprouvèrent la cruauté de Philippe, toujours terrible, on l’a vu, dès que sa domination était établie, tandis que vous recueillîtes heureusement les fruits de cette feinte douceur dont il voilait ses desseins sur la Grèce. Je ne m’arrête point à cela, [232] mais je dirai hardiment : Quiconque n’est pas un vil délateur, mais le juge impartial d’un ministre, ne lui fera point les reproches que tu m’adresses ; il ne forgera point de fausses comparaisons, ne contrefera ni des expressions ni des gestes. En effet, le salut de la Grèce dépendait de tel mot plutôt que de tel autre, d’une main portée ici, et non là ! [233] Dirigeant ses regards sur le fond des choses, il examinera quelles étaient les forces, les ressources de la République lorsque j’entrai aux affaires, et celles que lui procura mon administration, et la situation des ennemis. Ai-je diminué notre puissance ? il montrera mes fautes. Les ai-je augmentées ? il ne me calomniera point. Cet examen que tu as évité, je vais le faire. Voyez, Athéniens, si je dis vrai.

[234] La République avait alors pour elle les insu— 3