Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/117

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les magistrats avaient ordonné qu’il serait accordé à chaque Jésuite une pension alimentaire, modique à la vérité, mais du moins telle que les circonstances pouvaient le permettre. Cet arrêt, conforme aux premiers principes de la raison et de l’équité, demeure, si on en croit la voix publique, presque sans exécution dans quelques provinces. Les détails récents qu’on écrit à ce sujet, s’ils ne sont point exagérés, sont faits pour toucher tous les cœurs sensibles, tous ceux même que l’impitoyable jansénisme n’a pas endurcis jusqu’à la férocité. On assure qu’il se trouve en plusieurs villes des Jésuites malades, infirmes, pauvres, âgés, sans famille, sans amis, sans appui et sans ressource, réduits à la plus affreuse misère, privés de pain et hors d’état d’en gagner. Ceux d’entre eux qui pourraient se procurer par leur travail le nécessaire le plus absolu, se trouvent même dénués de cette ressource dans plusieurs diocèses, par la prévention que leur funeste robe inspire contre eux. La plupart de ces malheureux Jésuites, très innocents des intrigues qui ont fait détruire la société avec justice, ont consumé leurs jours et leur santé dans les travaux pénibles de l’éducation de la jeunesse ; aujourd’hui, sur le bord de leur tombeau, ils ne trouvent plus dans leur patrie où reposer leur tête, et souffrent, sans avoir la force de se plaindre, le sort cruel qu’on leur fait essuyer ; les magistrats qui les ont privés de leur état par une nécessité malheureuse, ne manqueront pas, sans doute, de se faire rendre compte, dans le plus grand détail, de la situation de ces infortunés ; leur humanité et leur justice s’empresseront d’y apporter le remède. En un mot, réprimer les Jésuites, mais les faire vivre, tel doit être le premier objet de ceux qui les ont dispersés.

Le second objet que doit avoir le gouvernement, c’est d’empêcher que le jansénisme, cette secte avilie et remuante, ne cherche à se relever de ses ruines, et à troubler de nouveau la religion et l’État. Je ne sais si je lis bien dans l’avenir, et dans un avenir que je crois peu éloigné ; mais il me semble que je ne serais pas tranquille à la place des jansénistes, car qui empêchera quelqu’un de nos plus respectables magistrats, de ces hommes qui ont acquis à titre de citoyens vertueux et de juges intègres la confiance publique, de se lever tout à coup au milieu d’une assemblée de chambres, et de dire : Messieurs, nous avons chassé les Jésuites et la France nous en remercie. Souffrirons-nous au milieu de nous des hommes, à la vérité beaucoup plus méprisables, mais qui seraient plus méchants si on leur laissait prendre crédit ? Qu’on ne les persécute point, à la bonne heure, c’est même le moyen qu’ils soient oubliés plutôt ; qu’on leur donne les sacrements, qu’on les laisse mourir en paix, mais