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MÉMOIRES

était près d’elle en prit occasion de lui dire qu’elle aimait plus la vérité que les autres princes : toutes les mérites, répondit-elle, ne sont pas de marbre.

Son changement de religion fut funeste à l’évêque Jean Matthiœ, son précepteur, luthérien modéré et pacifique, qui avait proposé plusieurs projets pour la réunion des églises protestantes. Les réformés, qui reprochent tant l’intolérance à l’église romaine, ne haïssent la persécution que quand elle les regarde, et nullement quand ils l’exercent. Matthiœ accusé, quoique sans raison, d avoir eu part à la prétendue apostasie de Christine, fut déposé de son évéché par les États du royaume.

Cette princesse, qui n’avait jamais eu de goût pour la France, en prit tout à coup à l’occasion de quelques mauvais discours que tinrent d’elle des domestiques espagnols qu’elle avait renvoyés. On voit par là que son amour et sa haine n’étaient pas difîiciles en motifs. Ce goût pour la France devint si grand, qu’elle prit bientôt la résolution d’y aller faire un voyage ( en loab), et de montrer à cette nation passionnée pour la monarchie, mie reine qui avait quitté le trône pour philosopher. Elle essuya en traversant les villes de France toutes les harangues et tous les honneurs auxquels les souverains sont condamnés. Quoique nouvellement rentrée dans le sein de l’église, Christine, toujours femme et princesse, reçut assez mal un orateur qui l’entretint des jugemens de Dieu et du mépris du monde. Elle arriva enfin à Fontainebleau ; et étonnée du cérémonial de la cour, elle demandait pourquoi les dames montraient tant d’empressement à la baiser : est-ce, disait-elle, parce que je ressemble à un homme ?

La célèbre Ninon, qu’elle voulut voir en passant à Senlis, fut la seule de toutes les femmes françaises à qui elle donna des marques d’estime. Cette personne singulière, qui par son esprit, par sa manière de penser et par sa conduite même, était parvenue à jouer avec beaucoup de considération le rôle de courtisane, était plus propre qu’aucune autre femme à frapper l’esprit d’une princesse aussi singulière qu’elle. 11 faut louer INinon de l’accueil qu’elle reçut ; mais il ne faut pas blâmer Christine.

De Fontainebleau elle fut à Paris, oii après avoir été complimentée par tous les corps, elle essuya de nouveau de longs et tristes festins qu’on lui donna, et jusqu’à des tragédies de collège dont elle se moqua plus hardiment. Elle se vengea sur elles de l’ennui que tout cet attirail de cérémonies et de réception lui avait causé.

Christine vit à Paris beaucoup de savans, reçut des pièces de vers sans nombre, et les apprécia ce qu’elles valaient. Elle