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SUR CHRISTINE

dont l’esprit persécuteur sera toujours désapprouvé par un christianisme bien entendu, avait été chassé de son trône pour avoir tourmenté une nation qui le laissait jouir en paix de ses moines et de ses maîtresses, et pour avoir voulu faire croire aux Anglais, par la force, ce qu’il aurait du leur persuader par son exemple. Réfugié en France, peu estimé dans l’Europe, et en butte aux railleries de la cour même où il s’était retiré, il fit, dit-on, des miracles après sa mort, n’ayant pu faire penr’ant sa vie celui de remonter sur le trône. Voici, écrivait Christine au sujet de cette guerre, un grand spectacle ouvert qui va faire rire et pleurer bien des gens. Tout tremble à Rome excepté moi seule. Ma grande curiosité est d’observer la contenance de la Suède. Toujours animée contre la France, elle ne paraissait pas désirer que la Suède s’unît à Louis XIV. On prétend aussi que, lasse du pape et des Romains, elle négociait avec le grand électeur de Brandebourg une retraite dans ses Etats. Quelques écrivains, sans examiner si cette négociation était réelle, en oqt conclu qu’elle méditait de retourner à la religion luthérienne : mais Christine, si elle eut en effet ce dessein peu vraisemblable, n’eut pas le temps de l’exécuter. Elle mourut peu de temps après, avec assez de tranquillité et de philosophie, en 1689. On a prétendu que sa mort était supérieure à celle d’Élisabeth ; il serait à souhaiter qu’on en pût dire autant de sa vie. Elle ordonna par son testament qu’on ne mît sur son tombeau que ces mots :

D. O. M. Vixit Christina ann. LXIII[1].


La modestie et le faste des inscriptions sont également l’ouvrage de la vanité. La modestie convient mieux à la vanité qui a fait de grandes choses ; le faste à la vanité qui n’en a fait que de petites. Si on juge sur cette règle l’épitaphe de Christine, on trouvera qu’elle n’est que vraie sans être grande. Les inégalités de sa conduite, de son humeur et de ses goûts ; le peu de décence qu’elle mit dans ses actions ; le peu d’avantage qu’elle tira de ses connaissances et de son esprit pour rendre les hommes heureux ; sa fierté qui fut souvent déplacée (parce qu’elle l’est toujours quand elle ne produit pas l’estime) ; ses discours équivoques sur la religion qu’elle avait quittée et sur celle qu’elle embrassait ; enfin la vie pour ainsi dire errante qu’elle a menée parmi des étrangers qui ne l’aimaient pas, tout cela justifie, plus qu’elle ne l’a cru, la brièveté de son épitaphe.

Je ne dis rien de ses obsèques, de sa bibliothèque, de ses ta-

  1. À Dieu très-bon, très-grand. Christine a vécu soixante-trois ans.